La quête identitaire comme moteur de création
© Sylvain Frappat
Je ne sais pas si c’est une tendance dans le cirque français mais les cubes de bois ont la cote! Après Six pieds sur terre l’an dernier, c’est au tour de Quien Soy? de se servir du noble matériau comme élément de décor central. Le spectacle est présenté pour la première fois à l’international dans le cadre de Montréal Complètement Cirque.
Wilmer Marquez et Edward Aleman, Colombiens d’origine, Français d’adoption et Terriens par leur vocation d’artistes internationaux, débarquaient au Québec avec un intrigant cube de bois, planté au milieu de la scène du Théâtre Outremont. Les deux acrobates, qu’on a aussi pu voir à l’œuvre dans l’expérience hautement théâtrale Warm, signent ici un spectacle intime, intuitif et complice, à l’image de leur compagnie El Nucleo.
L’esprit ludique (déjà caractérisé par le cube-casse-tête de bois) et l’humour des garçons créent une connexion instantanée avec le public. On aime les suivre dans leurs jeux, leurs paris perdus et les défis qu’ils se lancent. On comprend les bases de cette amitié qui durent depuis 20 ans et fait de chacun d’eux l’électron de l’autre.
Au cœur de leur avancée ce questionnement : Qui suis-je? Avec l’autre? Seul, parmi la foule? Dans un pays, qui n’est pas le mien? On les sent tantôt unis, en totale cohésion, dans les numéros de main à main où ils s’élèvent, à l’aide de leurs bras de fer et leur tête dure. Les chutes se transforment en étreintes, tendres et bienveillantes. On les sent évoluer en parallèle, comme dans les courses déterminant celui qui est le plus rapide, le plus fort, le plus endurant. On les sent aussi seuls, séparés, vulnérables, cherchant à se retrouver, comme lorsque Aleman exprime ses tourments dans une danse aux rythmes tribaux, avant de se remettre à sa quête de construction identitaire (et manuelle!). Les courbes et la fluidité du corps de l’artiste contrastent avec l’angularité du décor. Ce segment décalé et original amène une profondeur au récit.
Baignés de lumière, les décors de bois créent de superbes tableaux et des images fortes. L’utilisation calculée de projections est réussie et fait décidément voyager les spectateurs. Mais voilà, construire des décors n’est pas suffisant pour nous maintenir en haleine. Il y a quelques longueurs dans les montages, et on voudrait que les éléments soient davantage utilisés pour les performances. Faire de l’équilibrisme sur les pattes de tables, les buildings de la ville (petits prismes de bois) ou explorer davantage le toit du cube aurait pour effet de balayer cette impression d’inachevé. On sent que la structure n’est pas exploitée à son plein potentiel et on reste sur notre faim.
Soulignons toutefois le brillant arrangement du jeu de Jenga grandeur nature et les étonnantes acrobaties que Marquez et Aleman nous offrent avec le trampoline, dissimulé jusqu’à la dernière minute. Malgré leur maîtrise du français impeccable (ils ont étudié au Centre national des arts du cirque à Châlons-en-Champagne, en France), ils ont choisi de faire le spectacle en espagnol, aspect intéressant qui rappelle le parcours personnel et artistique des deux performeurs.
Quien Soy? n’est pas un spectacle où les prouesses acrobatiques s’enchaînent sans pause jusqu’à atteindre un climax à la 70e minute de représentation. On est moins dans une succession de numéros classiques que quelque chose de plus complet, une esthétique mouvante et un récit qui se boucle à la fin du spectacle. C’est plus linéaire, plus doux, plus intériorisé, peut-être?
Avec cette première production, El Nucleo arrive à transposer sa vision personnelle des arts du cirque avec la question identitaire comme moteur de création. La communauté colombienne était bien représentée vendredi, signe que le cirque est un formidable élément pour créer des ponts entre différentes cultures. Quien soy?, jusqu’à dimanche au Théâtre Outremont, pour clore cette édition de Montréal Complètement Cirque placée sous le signe de la diversité.
#MCCirque
Photos fournies par : Montréal Complètement Cirque