Intoxication et excitation
© Alexa Enlow Malky/MatTv.ca
On aurait préféré une anecdote de vomi sur la tête d’un passant plutôt qu’une cabine qui décroche mais l’accident a rapidement fait le tour du festival et des médias. Deux passagers de la grande roue posée à l’entrée du terrain ont terminé leur Rockfest à l’hôpital, après avoir fait une chute d’une dizaine de mètres du manège. La question se pose : c’est quoi cette idée beaucoup trop téméraire d’avoir une grande roue dans un lieu où des milliers de personnes saoules dès midi déambulent? Le vendredi matin ça ressemblait déjà à un « T’es pas game » qui allait mal finir. Je propose des autos tamponneuses avec alcotest pour l’an prochain.
Armée de mes coups de soleil, ma casquette SWAG et mon Gatorade (un de ces éléments est faux) j’affronte de nouveau le territoire hostile du Rockfest pour emplir mes oreilles de bonnes musiques. On commence le programme avec la formation world funky Colectivo, franchement un bon groupe pour débuter la journée, festif et près de son public. En plus de ses compos originales le groupe a même fait quelques reprises, notamment ¡Ya Basta!, ma chanson préférée de Grimskunk, et Le petit cactus d’Overbass. Après une visite aux toilettes près de la scène Budweiser (qui commençaient déjà à déborder) on se dirige du côté des kiosques de marchandises se créer des besoins, avant de rejoindre la scène Tony Sly.
Juché sur la colline de terre coulante, Catch 22 y allait de son ska rock au grand plaisir des festivaliers, nombreux pour voir le groupe du New Jersey. Pigeant dans les succès de leur discographie, c’est évidemment avec Hard to Impress, Keasby Nights et It Takes Some Time que l’excitation a atteint son comble. Après avoir fini de rire des festivaliers qui glissaient sur la boue et s’étampaient dans la clôture, on retourne s’écraser sur le gazon, toujours au soleil tapant, au son de Bald Vulture, groupe punk-core de St-Jean-sur-Richelieu qui revenait à la vie, lui aussi exceptionnellement pour le Rockfest. Dans le sillon de B.A.R.F., la gang de vautours avait une place de choix sur la scène locale, ayant produit plusieurs albums et tournées québécoises entre 1998 et 2005. Vous pouvez trouver le setlist qu’ils ont interprété sur leur bandcamp.
On aime d’amour le punk irlandais (même s’ils sont de Los Angeles) de Flogging Molly. Chaque fois qu’ils visitent le Québec ils offrent un spectacle généreux à une foule à l’enthousiasme contagieux. Ça n’a pas été long avant de transformer le parterre de la scène principale en plancher de danse démoniaque, en balançant les Drunken Lullabies, Man With No Country, Requiem for a Dying Song, Seven Deadly Sins et What’s Left of the Flag. Le violon très présent mais surtout la flûte irlandaise magique, qui appelle au poste tous les fans, sont la signature du groupe, qui allie adroitement musique traditionnelle, folk americana et punk rock. Après Devil’s Dance Floor, dont on reconnaît immédiatement les premières notes, Flogging Molly a terminé avec If I Ever Get Out Alive, réflexion légitime quand on est déjà fatigué à quatre heures l’après-midi.
Pas trop sûre du pourquoi, mais on a réentendu une partie des chansons de Colectivo dans le set d’Overbass (probablement parce que c’est la même chanteuse, la splendide Shantal Arroyo) dont ¡Ya Basta! et Le petit cactus. Mais aussi St-Sacrament, La boîte à musique et la superbe mais très dure -60 avec les vents, qu’on peut trouver sur la compilation Noël dans la rue. On était loin du -60 avec le soleil de plomb qui transformait en homard tous ceux qui n’avaient pas mis de crème solaire dans leur petit kit de survie du festivalier.
Comme la tendance des festivals est d’inviter les groupes à jouer leurs albums intégralement, Rancid y est bien sûr allé de son classique …And Out Come the Wolves, autre album qui a marqué les fans de punk rock des années 90. Le public s’est déchaîné sous le soleil cuisant au son des Roots Radical, Maxwell Murder, Journey to the End of East Bay et bien sûr Time Bomb et Ruby Ruby Ruby Soho. Si ce n’était pas du grain de voix reconnaissable de Tim Armstrong, on aurait presque douté que le chanteur soit présent tellement il était méconnaissable avec sa barbe! On est encore habitué à son look kingpin; chapeau, lunettes fumées et trench coat.
2015 était l’année des retours sur scène de plusieurs formations locales, dont MAP, groupe phare de l’étiquette Slam Disques à ses débuts. Leur ska-punk mordant et leurs textes bien ficelés ont permis au groupe francophone d’atteindre une forte notoriété avant de se retirer en 2008. Leurs pièces font l’apologie d’un monde qui court à sa perte. Effort de guerre, Soit belle et tais-toi, Ya Basta, Tel père, tel fils et une pièce classique de leur répertoire très engagé, soit J’ai du bon fromage, sont passées au moulinet. Ils auraient pu interpréter uniquement Chacun pour soi et le public aurait été comblé. Le groupe se produira au Festival d’été de Québec le 19 juillet et quelques fois d’ici septembre, où il mourra officiellement (encore).
Puis les festivaliers se sont mis en mode doggy style pour accueillir l’icône du hip hop West Coast Snoop Dogg qui, en festival, fait un peu toujours la même chose, c’est-à-dire montrer l’étendue de ses collaborations faramineuses avec les plus grands de l’industrie de la pop et du hip hop. Son dernier joint au Québec remontait au Festival International de Jazz à Montréal l’ an dernier. Même au grand air, il y a eu un smog de marijuana avec les beats de Dr Dre en arrière-plan. The Next Episode, P.I.M.P., Gin and Juice et son premier succès Who Am I? (What’s my Name?) ont ravi les fans du rappeur le mieux payé au monde. Un clash dans la programmation bien appréciée.
Autre grand performeur s’il en est un, Rob Zombie était aussi très attendu pour cette 10e édition du Rockfest. Il était cette fois-ci moins dans la performance théâtrale (comme on l’a déjà vu au Heavy MTL) que dans la suggestion d’un univers macabre. Flanqués de ses acolytes costumés et de ses micros squelettes, notre zombie préféré y est allé de ses chansons de pulsions de mort et de sexe comme Teenage Nosferatu Pussy, Living Dead Girl, House of 1000 Corpses, en plus de faire une reprise de Blitzkrieg Bop des Ramones. Il a terminé le concert sur Dragula et School’s Out, une reprise de son compatriote Alice Cooper. Une performance égale devant une foule dense et enthousiaste.
Quand même les tests de son sont agressifs, on peut s’attendre à quelque chose qui brasse. C’était le cas pour les formations à l’honneur dans cette troisième soirée du Rockfest de Montebello. Groovy Aardvark et Tenacious D se disputaient les fans déchirés de devoir choisir entre les deux groupes dont l’un ne vient jamais au Québec alors que l’autre a tiré la plogue depuis près de 10 ans. La foule était d’attaque pour un real punk avec le groupe trad-trash favori qui a été la porte d’entrée pour découvrir l’œuvre de Félix Leclerc pour bien des jeunes! Dérangeant et l’entraînante Boisson d’avril figurent au nombre des titres entendus ce soir-là. Pour faire Le petit bonheur, Groovy a invité Marc Vaillancourt, le chanteur de B.A.R.F., à les rejoindre sur scène. Sévice rendu les mecs! On tourne à nouveau les yeux vers la scène principale où les cris de guitares fusent immédiatement avec World Painted Blood. Tom Araya était en forme et Gary Holt portait un T-shirt digne de mention avec l’inscription « Fuck the Kardashian ». Habitués de grands festivals du genre, Slayer a offert aux fans présents leurs plus grands succès dont Seasons in the Abyss, Raining Blood et Angel of Death. Il a pas plu de sang… mais presque!
Le clou du spectacle s’en venait, avec les Arméniens chéris System of a Down, que j’avais vu pour la première et dernière fois en 2005 au Centre Bell, juste après la sortie de Mesmerize. Serj Tankian et sa bande ont offert toute une performance, commençant avec Deer Dance, tirée de leur album Toxicity, suivie de Tentative (Hypnotize) pour revenir à la puissante Aerials. B.Y.O.B., Radio/Video, Hypnotize et Needles…. Tout allait bien et soudainement, une partie de la foule acculée à la clôture en avait assez de regarder les gens dans le VIP regarder SOAD et ont décidé de défoncer les clôtures, entrer dans la zone et se bousculer par la même occasion. J’ai ramassé les pieds d’un gars qui sautait la gate dans ma face, trop pressé pour regarder où il allait atterrir (ce n’était pas la première fois dans la fin de semaine mais là j’étais censée être dans une zone sécuritaire). WHAT THE FUCK PEOPLE?! On n’est pas à la guerre, on est dans un show rock! Pas besoin de faire tomber les clôtures et courir à toutes jambes. On n’est même pas dans une manif à Montréal! Avec une attitude de respect comme ça envers les autres festivaliers, l’intoxication et l’excitation ingérables, on est bien loin de l’esprit du rock et l’idée derrière ces grands rassemblements pour l’amour de la musique. Dommage.
Heureusement, Chop Suey! et Lonely Day n’étaient pas encore passées, et les entendre m’a réconcilié avec la vie. Psycho, Lost in Hollywood, Forest, Prison Song, Toxicity et Cigaro ont aussi fait partie de la longue liste de chansons impeccablement interprétées par le groupe. J’aurais beaucoup aimé entendre Boom!, de Steal this Album!, dont le vidéoclip réalisé par Michael Moore m’avait beaucoup marqué. Les paroles de la chanson anti-guerre sont toujours autant d’actualité.
Après 3 jours à festoyer jusqu’aux petites heures, il était temps de rentrer à la maison. Ah, Rockfest de Montebello! Tes innombrables gogosses brandies par la foule (poupées gonflables, drapeaux, la face de Pauline Marois…), ton sol jonché de verres de plastique, tes colons qui crient « Show me your tits! » mais surtout, ton excellente musique va me manquer. À l’an prochain!
© Alexa Enlow Malky/MatTv.ca