«Est-ce que ça peut être mal si elles ne souffrent pas?», se demande le violeur
© Théâtre Complice
Par Sébastien Bouthillier
Quatre amis début-vingtaine fondent un groupe de musique punk dans les années 90. Sauf que les deux jumeaux pervers deviennent les instigateurs du rituel sexuel sadique… On peut baiser drogué. Mais on ne peut pas droguer pour baiser. Pourtant, ils intoxiquent les filles pour qu’elles perdent connaissance afin de les violer.
L’alcool multiplie les effets délétères des substances chimiques dans leur équation criminelle; où les mises en garde de la pharmacologie deviennent des invitations au risque, au plaisir et à l’immoralité. En effet, Polo (Cédric Dorier) se justifiera en bredouillant qu’il ne peut y avoir de mal si aucune souffrance n’est ressentie, la victime étant endormie. N’est-ce pas?
Difficile à savoir, car le public dépend de Polo pour plonger dans le passé abject, le trentenaire bon chic bon genre hésite entre réalité et souvenir refoulé, nié, justifié par une morale douteuse, intenable. Durant ces années, il a fui et il se confond aujourd’hui à force de rejouer le scénario dans sa tête comme s’il trouverait une façon de le rendre acceptable. Le mal le ronge toujours.
En effet, quinze ans plus tard, Polo croise la sœur (Ines Talbi) d’un membre de la bande, qui l’invite à prendre un verre au bar. Rongé de remords, le lent épluchage des mensonges sape ses mécanismes de défense. Le récit qu’il livre s’avère un combat contre lui-même et un décapage à l’acide du gommage d’alibis couvrant son passé. D’ailleurs, il veut qu’on l’appelle Ruben, préférant renier son surnom. Comme s’il oublierait mieux son passé sordide.
Hanté, Polo relate par bribes son cauchemar à la soeur de Nathan, son ami avec qui il s’imagine discuter, à son psy (Jean-François Blanchard) et à sa copine. À la première, il apprend que son frère l’a violée sans ajouter qu’il l’a violée lui aussi. À son ami qui sort de prison, Polo n’avoue pas qu’il a menti à la police pour éviter de s’incriminer. Hubert Proulx, qui incarne un Nathan cynique qui a purgé sa peine sans que ses acolytes ne s’inquiètent, voudrait que Polo admette, mais il se suicidera avant de connaître l’ampleur de la vérité. Même à son psy, Polo omet des détails qu’il révèle à sa copine (Joëlle Fontannaz) avec qui il est en couple depuis 15 ans, moins par amour que par honte et repentance.
Denis Lavalou campe l’action dans un bar grâce à la place qu’il accorde à la projection visuelle et à la musique de Tricky, Nirvana et Jane’s Addiction notamment. Trois musiciens interprètent les extraits sur scène, en face de l’artiste visuelle Manon de Pauw, qui joue la barmaid derrière son zinc et ses bouteilles. Le metteur en scène parisien Denis Lavalou a adapté le roman éponyme de l’Espagnol Javier Gutiérrez paru en 2012 et traduit en français l’année suivante.
Le GRIP – Groupe de recherche en intervention psychosociale – se joindra aux artistes pour discuter avec le public après la représentation du 14 novembre.
Crédit photos : Théâtre Complice et Jean Scheim (couverture).
Un si gentil garçon, à l’Usine C jusqu’au 18 novembre.
Texte révisé par : Marie-France Boisvert