Festival Transamériques
©Vivien Gaumand
Est-ce que quelqu’un parmi les spectateurs aurait 450$ à prêter à Lioubov pour qu’elle paie son taxi, qui attend à la porte de l’Usine C ? L’héroïne déjantée de Tchekhov vit dans un intenable déni, elle flambe son fric et se noie dans le champagne. Le public est témoin de son retour à la cerisaie après une longue boucle en voiture et un exil à Paris auprès de son amant.
Variations pour une déchéance annoncée aborde les questions du travail et de l’héritage, mais en actualisant au siècle d’aujourd’hui le texte de l’auteur russe. C’est une adaptation de La Cerisaie où les acteurs décrochent de leur rôle pour commenter sardoniquement leur jeu ou ironiser sur celui des autres, et même boire un verre de mousseux avec le public. Une pièce dans la pièce, les acteurs peinent à jouer leur rôle et redeviennent humains.
Imbibée d’alcool, la veuve Lioubov assiste passivement au naufrage de son existence. La cerisaie, son domaine, sera mise aux enchères pour dettes. Elle refuse de le vendre en lots pour les estivants afin de se renflouer. Les estivants sont « vulgaires » à ses yeux. Elle l’abandonne, car elle n’a plus les moyens de l’entretenir.
Lioubov «laisse mourir un monde dont on n’a plus les moyens», selon la metteure en scène Angela Konrad. Variations pour une déchéance annoncée est la première pièce de la compagnie La Fabrik, vouée notamment à la relecture de pièce du répertoire.
Le temps de l’aristocratie, qui a vécu oisivement en s’enrichissant grâce au labeur des paysans – les moujiks – semble révolu. Le précepteur du fils trépassé méprise d’ailleurs la mère disjonctée sans réaliser qu’il incarne, en universitaire et éternel étudiant, la nouvelle forme contemporaine de l’aristocratie : un oisif qui pérore sur le monde.
Dominique Quesnel est sublime en Lioubjov. Jusqu’à demain à l’Usine C dans le cadre du Festival Transamériques.
Crédit photo: ©Vivien Gaumand