Zéro : Entre un micro amplifié et une voix intime
Par : Annie Dubé
La dernière fois que j’ai vu une pièce de Mani Soleymanlou, c’était lors de Un…Deux…Trois… Je me souviens encore que ce que j’avais retenu de cet amalgame d’œuvres inspirées de sa vie, en plus du génie des fresques humaines entre la comédie et le tragique humain, c’était mon envie d’avoir un ami comme lui. Attachant, il l’est toujours dans la pièce Zéro, présentée ces jours-ci à l’Usine C. Retour aux sources, donc. Créée en 2019, cette œuvre portant le chiffre nul ne l’est assurément pas. Mais était-ce aussi bon que la dernière fois? Ouf, ça s’est chien, comme question! La réponse est malheureusement non, mais c’est délectable quand même. Disons que c’est Zéro point cinq! Mais bon, je n’ai pas fait mes maths au secondaire.
Dans cette version beaucoup plus sobre, sans aucun autre acteur sur scène, ça ressemble parfois à un one man show d’humour, entremêlé de la lourdeur d’un héritage lointain qu’il porte dans sa chair. Le comédien et dramaturge fut indéniablement aimé de chacune des âmes dans cette salle, le soir de la première, j’en suis presque certaine.
Sans s’en rendre compte, on rit à peu près tout le temps, même si l’heure est grave. Assis dans nos sièges confortablement, on écoute son histoire attentivement, puis, peut-être devenons-nous assis-debout, assis-couchés, couchés-debout : nous sommes emportés dans ce récit comme un enfant à qui on raconte une histoire épique qu’il ne vivra jamais.
Ses mimiques barbares de pendaison avec la langue sortie sont à chaque fois un charme. Je sais, c’est bizarre, écrit comme ça. C’est pourtant dans ces détails fins ou grossiers que tout l’art de Soleymanlou se manifeste à pleine puissance.
Avec un don de conteur incroyable, une autodérision charmante et l’impression toujours d’être en compagnie d’un ami d’enfance inconnu, on traverse sa vie et celle de sa famille, à Montréal et en Iran, là où l’on ne mettra probablement jamais les pieds. On voyage dans l’espace et le temps, on vit des boucles narratives qui s’amalgament comme un tas de chaises pêle-mêle, à escalader comme une montagne de la Révolution, tranquille de tranquille, en essayant de ne pas se déboîter l’épaule avec lui.
Le seul bémol de cette soirée bien agréable, le seul moment moins extraordinairement unique à lui, serait le trop long monologue à commenter les chroniqueurs du Journal de Montréal. N’importe qui aurait pu dire ces observations et critiques, ça sent le déjà vu que n’importe qui pourrait dire sur le coin de la rue. Ce n’est pas mal en soi et les voisins de chaises ont beaucoup ri, mais moi, mon ami imaginaire, Mani, je sais qu’il est beaucoup plus génial que ça. Laissons à Pierre raconter ça à Jacques, et restons spéciaux, mon ami Mani.
Pour le reste, c’est à voir, à entendre, mais surtout, à écouter attentivement.
La pièce a lieu à l’Usine C jusqu’au 6 avril 2023. Visitez le site de la billetterie pour tous les détails.
Crédit de couverture : Jean-François Hétu
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