L’oeuvre de Léo Ferré à Coup de cœur francophone
© Jean-François Leblanc
Par : Maxime D.-Pomerleau
Inutile d’être un connaisseur pour apprécier l’oeuvre de Léo Ferré, comme elle nous était proposée dans le spectacle Corps Amour Anarchie/Léo Ferré, ce mercredi. Présentée en 2016 pour souligner le 100e anniversaire de la naissance du poète et chanteur français, la production qui rassemble pas moins de 16 artistes sur scène revenait à la Cinquième Salle de la Place des Arts. Plus d’un ont été éblouis par ce joyau du festival Coup de cœur francophone.
Cinq musiciens, trois danseurs et demi (le chanteur Alexandre Désilets pouvant exécuter plusieurs mouvements, il n’aura ce rôle que quelques instants), puis les premiers mots de La solitude, qui nous empoignent. « Je pisse, j’éjacule, je pleure. » De quoi ramener le monument au statut simple d’homme. « Le désespoir est une forme supérieure de la critique, pour le moment, nous l’appellerons bonheur. » Si ces paroles sont une claque au visage, les danseurs adoucissent les propos durs et souvent sombres, en leur insufflant humanité et vulnérabilité.
© Jean-François Leblanc
Incarné, réincarné, désincarné, Léo Ferré s’est matérialisé sous différentes formes dans ce spectacle alliant musique, chanson française, poésie et danse contemporaine. Décrivant l’anarchie comme une forme de solitude et d’amour, ces thèmes se sont entrelacés entre les numéros, et heureusement les corps étaient là pour nous protéger d’une lucidité parfois trop crue.
Le langage des différents chorégraphes invités (Hélène Blackburn, Emmanuel Jouthe, Pierre-Paul Savoie, aussi directeur artistique, de même que les interprètes Anne Plamondon et David Rancourt) se fond entre chaque pièce, et on remarque peu de contrastes drastiques. Les seules cassures sont imputables à l’étrange enchaînement des pièces de Ferré, qui nous a tous laissés un peu abattus.
© Jean-François Leblanc
Malgré certains problèmes techniques, qui ont surtout importuné Catherine Major, les interprétations étaient sans faille; Bïa, Alexandre Désilets, Philippe B et Michel Faubert amenant aussi chacun une teinte personnelle aux mots du grand poète. Désilets, la voix haut perchée, penchait vers la chanson française, rappelant par moments Pierre Lapointe, pour C’est extra, alors qu’on voyait en Philippe B un Léo Ferré jeune, habité par La mélancolie.
Les interprètes étaient envoûtants, si bien que l’on oubliait, à peine après un couplet, la présence des chanteurs. Certains contacts entre ceux-ci et les danseurs étaient aussi intéressants, et permettaient aux deux univers de fusionner, même brièvement. La pièce Tu ne dis jamais rien a donné lieu à un superbe duo, de même que le sulfureux Le fleuve aux amants, chanté par Faubert. Saluons la performance de la chorégraphe-danseuse Anne Plamondon, absolument remarquable dans ses solos, transcendants, comme sur la favorite Avec le temps, soutenue par la voix de Bïa.
© Jean-François Leblanc
Le moment le plus fort reste cependant Pacific Blues interprété par Philippe B, avec les traversées des duos de danseurs, transportant les uns et les autres sur leur dos ou les traînant par terre, corps abîmés, corps morts.
Pas besoin d’être un connaisseur, disais-je, pour apprécier cette rencontre privilégiée et saisir l’ampleur du legs de l’artiste. Suffit de se rassembler autour d’une œuvre signifiante qui porte encore à réfléchir et à s’émouvoir, telle que Corps Amour Anarchie/Léo Ferré, pour se sentir, nous aussi, à l’épreuve du temps.
#CCF17
Photos : Courtoisie Coup de coeuf francophone/©Jean-François Leblanc
Texte révisé par : Annie Simard