Philosophie corrosive
Par : Sébastien Bouthillier
L’étonnant auteur Étienne Lepage et l’irrévérencieux chorégraphe Frédérick Gravel assènent des coups de marteau philosophiques sur le déni du public quant à la dureté de la vie. Ils versent une dose d’acide pour décaper la mince couche du vernis d’indifférence et exposer à la lumière crue – et cruelle – la lucidité qui subsiste.
À travers des anecdotes banales, des exemples détaillés et des envolées argumentées, les cinq interprètes déploient le concept du pire sur scène, où ils sombrent doucement tout en prononçant des paroles drôles sur un ton ingénu comme s’ils acceptaient l’inéluctabilité du naufrage existentiel.
Puisqu’il s’agit d’une autopsie de la raison lucide, ce n’est pas une pièce de théâtre sur l’optimisme ou le pessimisme, elle ne porte pas plus sur le cynisme ambiant. À l’heure de l’élection présidentielle états-unienne, c’est une réponse absurde au désordre mondial tel que vécu par le monde ordinaire.
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Lepage et Gravel incitent le spectateur à devenir complice des acteurs, ils entraînent le public dans le même rapport au monde désespéré qu’eux. S’il n’y pas d’espoir, c’est qu’il n’y a plus d’aspirations, et c’est une preuve de réalisme que de se rendre compte de cette évidence.
« J’aime placer les spectateurs devant des certitudes qui se défont, détruire des structures de pensée. Provoquer, oui, mais intellectuellement, briser les idées toutes faites. L’accumulation de mises en échec nous fait prendre conscience du côté angoissant de chaque scène », livre l’auteur.
Alors qu’Étienne Lepage apprécie le trompe-l’œil de ses mises en scène, Frédérick Gravel recherche la vérité dans ses performances. Pourtant, ils collaborent maintenant pour la deuxième fois, après Ainsi parlait, en 2013. Avec Logique du pire, ils livrent une pièce obscure grâce à un équilibre entre mouvement, musique et décor.
En s’adressant au public, les cinq acteurs disent tout et son contraire sans que les mots signifient quoi que ce soit, ils révèlent plutôt leur personnalité captive de l’impasse d’une vie inaboutie qu’ils assument. Lepage explique la logorrhée de ses personnages : « Une hygiène mentale en quelque sorte qui passe par l’affrontement héroïque de l’implacable. »
Mais son acolyte Gravel laisse des traces de son processus créatif sur scène, le fil dépasse exprès pour montrer le procédé dont il se sert pour transformer l’art en spectacle. « Dans mon travail de chorégraphe, je ne cherche pas à dire quelque chose de précis, plutôt à montrer des symptômes de ce qui est là, et à en tirer une certaine poésie », déclare-t-il.
L’essai Logique du pire du philosophe Clément Rosset a inspiré le titre de la pièce. « J’ai toujours trouvé une grande lumière dans la dureté intellectuelle », constate l’auteur. Mais quand le pire triomphe, quelle place reste-t-il pour la logique?
Logique du pire, jusqu’au 19 novembre à La Chapelle.
Crédit photo : Gunter Gamper
Texte révisé par : Annie Simard