Calendes, ou quand un sous-marin mène à une amitié musicale bien spéciale
© Jean-Thomas Boulianne et Fred Labrie du groupe Calendes, photo tirée de leur page Facebook
Par : Myriam Bercier
MatTv vous offre encore et toujours la chronique On vous présente, qui a pour objectif de vous présenter des artistes qui passent sous le radar de la musique populaire. Cette semaine, on retrouve un artiste dont j’ai déjà tiré le portrait en compagnie de Jean-Thomas Boulianne, je parle ici de Fred Labrie et son nouveau projet Calendes!
Calendes, c’est le nouveau projet musical de Jean-Thomas Boulianne et Fred Labrie, amis depuis 15 ans. C’est un projet-thérapie pour les deux jeunes hommes qui avaient besoin au même moment de prendre une pause de l’industrie musicale.
© Fred Labrie et Jean-Thomas Boulianne, Photo d’Andrew Beaudoin
Certains ont connu Fred Labrie par son projet solo, dont le premier EP est sorti en 2012 et le plus récent album est sorti en juin de la présente année. Jean-Thomas Boulianne, quant à lui, a longtemps été musicien pigiste, notamment pour Bob Bissonnette. Les deux ensemble offrent une musique indie rock sans compromis. Le premier extrait, Astronaute, est sorti le 6 novembre. L’album complet paraîtra en janvier 2021.
Comme l’entrevue est particulièrement longue (mais intéressante!), je laisse la parole aux artistes maintenant. On a parlé notamment de processus de création, du Subway, d’amitié, de l’industrie musicale et de se faire confiance. Voici, sans plus attendre, notre discussion!
Myriam : Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la musique?
Jean-Thomas : Mon grand frère jouait de la musique quand il était jeune. Il a cinq ans de différence avec moi. J’avais 9 ans, il en avait 14, et il jouait avec son groupe. Celui qui a réalisé l’album, c’est un ami de mon frère qui jouait avec lui dans ce groupe-là. […] J’ai toujours été dans les écoles de musique, je me suis arrangée pour toujours jouer de la musique, je n’ai pas pris, en secondaire 5, les cours de chimie et physique, j’ai pris musique arts plastiques.
Fred : Jean-Thomas avait un band de punk au secondaire. Pour vrai, c’est écœurant son parcours.
Jean-Thomas : Un band de ska punk […]. On a fait deux spectacles, quand même. Ça n’a pas duré longtemps. Jukebox, que ça s’appelait. J’avais 14 ans, j’avais une liberté, je créais, j’avais du fun et après je suis allé étudier en musique au cégep et je me suis enlevé cette liberté-là. Jusqu’à notre projet, je ne me suis jamais permis de refaire ça. J’accompagnais plein de monde, je jouais beaucoup, mais je ne me permettais pas moi de faire de la musique. C’est spécial qu’en quasiment 20 ans je n’ai pas refait ça, la composition, ce qu’on fait là. On est revenu à la base, c’est ça le but du projet. Ce projet-là, Calendes, c’est un retour. Fred et moi au début, on ne parlait même pas d’album. On avait envie de jouer de la musique et de ne pas faire de compromis. C’est cliché de dire ça, mais je me suis tellement retrouvé en tant que musicien à faire des projets qui ne me tentaient pas, jouer des I Will Survive dans des mariages, ce n’est pas le fun. J’en ai fait des gigs de marde, que je suis allé en Abitibi aller-retour pour des peanuts. Tout ça pour dire que ce projet-là avec Fred, je voulais revenir à cette base-là d’adolescents qui ont du fun, qui se voient, qui écrivent des chansons. On se le disait tantôt, on n’a fait aucun compromis sur les textes, sur les accords, sur tout, c’est quand même cool.
Fred : À ce moment-là, avec mon dernier album, ça allait mal. Ça allait vraiment mal, je n’avais plus de fun à faire de la musique, le milieu c’était beaucoup de pression sur mes épaules, on dirait que ce n’était plus rendu positif, même en écouter. Je n’avais même plus envie d’en écouter, pour moi c’était comme de la compétition tout le temps. Jean-Thomas est arrivé avec ça et c’était comme une thérapie pour moi. Ça a commencé naturellement. […] Au début, on ne pensait à rien, je ne pensais pas aller vers un album, mais je me suis rappelé que c’était ça aussi, la musique. J’y allais juste prendre une bière, on jouait, on avait du fun, on sortait des bonnes affaires des fois. C’est le fun de créer avec du monde, de jammer. Habituellement, j’étais dans ma petite bulle tout seul, je composais mes chansons, je me torturais l’intérieur, je sortais mes émotions. Après j’arrivais, je présentais la chanson et les gars faisaient les arrangements, ils essayaient de mettre de l’enrobage. Là, il y avait de quoi de collectif. Pour moi, ça a été une thérapie d’un bout à l’autre. J’ai continué à trouver ça difficile avec mon projet, et à chaque fois il y avait ça qui me ramenait. Dans la dernière année, ça a commencé à prendre forme, on a réalisé qu’on ne faisait plus juste un trip de faire quatre chansons pour immortaliser ce qu’on faisait, on s’est rendus à six, à huit, on voulait en composer d’autres. Ça s’est fait naturellement. Le courant, il n’y a jamais eu de rocher dans le milieu, alors que dans l’autre projet c’était le contraire. […] On a décidé de revenir à créer de la musique pour le trip d’en faire. On n’avait zéro aspiration autre que de dire qu’on a ça chaque semaine. Au lieu d’aller jouer au hockey, on prenait une bière, on jouait de la musique et on jammait. […]
Jean-Thomas : On ne s’est pas mis de pression du tout avec le processus de création. C’est parti d’une amitié à la base, tout ça, c’est parti de deux amis musiciens qui ont des formations de musiciens. Les deux on avait besoin en même temps de reconnecter avec la musique. Moi, j’accompagnais Bob Bissonnette. Il est décédé, ça a fessé un peu, mais j’allais partir du groupe quand même parce que j’allais avoir ma petite fille et j’étais tanné de faire beaucoup de route. J’étais musicien pigiste, même si j’ai fait les cinq ans avec lui, ce n’était pas mon projet à moi. Avec Fred, ça s’est fait naturellement, il est venu chez moi, on a pris deux guitares. On s’est demandé pourquoi on ne faisait pas ça plus souvent, jouer de la musique. On s’est mis à répéter et à s’enregistrer. Le processus est quand même sérieux, on n’a pas pris ça à la légère. Le processus de création s’est fait naturellement, mais on s’est entouré quand même, si on regarde ça, de Carl Bastien, qui joue sur l’album, a réalisé Rêver Mieux [de Daniel Bélanger], il joue avec Damien Robitaille, il a fait le dernier de Daniel Bélanger… Francis [Major], qui a enregistré et mixé l’album, est tout le temps avec Charlotte Cardin, c’est lui qui a fait son premier album, Will[iam Gough] réalise plein d’affaires, il vient de faire une musique de jeu vidéo […]. Kev[en Alexander Whittington Barrette] a joué avec Rosie Vallant. Le drummer, c’est le drummer de Charlotte Cardin. […]
Myriam : Comment vous êtes-vous rencontrés?
Fred : Au Subway.
Jean-Thomas : J’avais 17 ans, je travaillais au Subway et on avait un ami en commun qui était au cégep en musique. Fred et moi rentrions en même temps en musique au cégep. L’autre ami en question est venu au Subway me présenter Fred. Je lui avais fait un sous-marin, j’étais stressé parce que c’était un musicien : j’avais échappé son sous-marin à terre (rires). […]
Fred : On est rentrés au cégep en même temps. […] On est arrivés dans le même combo dès la première année…
Jean-Thomas : Première journée, on avait tous nos cours ensemble.
Fred : Ils nous avaient mis dans le combo fort. […] On arrive, et tout le monde savait jouer des brass, savait lire la musique, les partitions, ça parlait et je ne comprenais rien. Il y avait Jean-Thomas à côté qui était meilleur que moi, il connaissait plus ça, mais il comprenait ma détresse. À un moment donné, il me dit « improvise » […] je connaissais une gamme, il m’a dit d’improviser avec cette gamme-là, c’était vraiment un désastre, mais j’ai senti de l’empathie de sa part. À partir de là, j’ai su que ce gars-là c’était un champion, un grand.
Jean-Thomas : Cette session-là, on jouait deux ou trois fois semaine ensemble. […] Après ça, Fred a formé son groupe. […] J’ai joué souvent avec Fred dans son projet, par intermittence. […] J’ai joué sur son premier EP. […]
Fred : […] Avant ça, Jean-Thomas avait un groupe au cégep. […] L’année d’après c’est moi qui avais un groupe. […] Il est venu jouer avec nous. […]
Jean-Thomas : On a toujours joué ensemble par intermittence. […] Fred est allé à l’école de la chanson, il a rencontré les gars, c’était compliqué, donc je n’avais pas pu jouer sur son album, mais je jouais encore avec lui à ce moment-là. […]
Fred : Ça a toujours été par intermittence parce que Jean-Thomas a toujours eu beaucoup de projets et moi, en général, mon projet ça a toujours été ceux qui sont disponibles parce que je comprends entièrement quand tu es un musicien. Moi ça a toujours été l’enseignement et mon projet et quelques gigs autour, mais je ne faisais pas ça, je n’étais pas un musicien autant pigiste que Jean-Thomas, donc je comprenais entièrement la réalité. Ça a toujours été mon choix numéro 1 comme bassiste.
© Calendes, photo d’Andrew Beaudoin
Myriam : Comment en êtes-vous venus à former un groupe, quel a été l’élément déclencheur?
Jean-Thomas : C’est vraiment le mur musical qu’on a frappé en même temps.
Fred : Vraiment.
Jean-Thomas : Moi, je me suis tanné d’être pigiste, d’être à gauche et à droite. Plus je jouais, plus je me cherchais. Je me demandais qui j’étais là-dedans. Le lundi je joue avec lui, le jeudi… c’est le fun, mais je me suis arrêté pour me demander j’étais qui. L’histoire de Bob aussi, tout ça a nourri ma réflexion. J’ai étudié en musique, mais je ne fais pas de musique tant que ça. J’étais tanné. J’ai frappé un petit mur, Fred aussi je pense. Je me rappelle, il était dans une phase… Il traînait ses projets à bout de bras, c’est tout lui qui.. c’est du sport. Là, c’est nous qui le faisons et il n’y a pas de subvention, il faut contacter tout le monde, faire les démarches, payer de notre poche. C’est correct, je ne me plains pas. Là on est deux à le faire, mais avant Fred était tout seul à le faire, c’est sûr qu’il y avait une charge. Le fait d’embarquer à deux, dès le début Fred disait que c’était le fun de ne pas se sentir tout seul là-dedans.
Fred : Même la création. Ne pas être tout seul à avoir le poids. J’ai toujours trouvé que Jean-Thomas est un musicien cool, qu’il a du goût au niveau musical, il est ultra technique, mais c’est surtout un excellent musicien. Il a de bonnes idées. J’ai toujours vu qu’il avait une créativité en fait. J’étais comme convaincu que ce gars-là avait tout à donner dans un projet de création. À ce moment-là, me dire que j’allais avoir l’approbation de Jean-Thomas quand je vais arriver avec des idées et que si ce n’est pas bon au moins je vais le savoir. C’est ce que j’aimais, car je ne suis plus à composer dans ma petite bulle sans trop savoir si je suis dans la bonne direction. On avait déjà des interactions, il arrivait avec des idées rafraîchissantes. Je n’avais jamais osé aller vers ça, j’avais plus de confiance en ce qu’on composait, ce qu’on créait, qu’en moi dans ma petite bulle. C’est une bulle qui n’est pas positive moi quand je crée. Je suis très mélancolique et solitaire tandis que là, la vibe était différente. C’est clair que c’était plus positif. […]
Jean-Thomas : Pour ma part, Fred a fait l’école nationale de la chanson, il est à l’aise d’écrire des textes, il en a écrit beaucoup, il a fait des formations, il a quand même trois ou quatre albums et EPs, alors que moi, comme chanteur je me faisais zéro confiance. C’en était quasiment une joke, je ne m’étais jamais donné la chance, et c’est Fred qui m’a poussé, et ça a pris du temps. Pendant deux ans, on pratiquait et je disais à Fred « je ne suis pas un chanteur. » Moi, dans ma tête, quand on a parti ça, c’est Fred qui allait chanter, c’était évident. Finalement, c’est lui qui m’a dit « c’est ta chanson, c’est toi qui chantes, elle est belle, ta voix. » […] Je ne me serais jamais permis ça. On dirait que les deux on a fait que …
Fred : On s’est soulevé un peu les deux.
Jean-Thomas : On a soulevé les forces et les craintes d’un et de l’autre. Je pense que je l’ai amené dans une zone où il va moins d’habitude côté accord, côté thème de chanson, mais lui il m’a amené le côté du chant, les textes. Fred m’a aidé beaucoup dans les textes. Ça aussi c’est quelque chose que jamais je n’aurais osé toucher à ça tout seul. En les travaillant avec Fred, j’ai assumé cette idée-là, les textes je les aime, je suis vraiment content, ils sont authentiques, ils parlent de nous. Sans Fred, je n’aurais jamais fait ça.
Fred : On oublie, Jean-Thomas, mais on cherchait un chanteur. Au départ, c’était instrumental. Au départ, on parle de quelques mois, peut-être un an, c’était juste de la grosse guitare, un peu comme les groupes de post-rock à la Godspeed You! Black Emperor, ce genre de band-là, on essayait de tirer vers ça. On a même demandé à une de nos amies de venir chanter, mais ça n’a pas fonctionné finalement. On pensait à une fille pour chanter, on cherchait. À un moment donné, Jean-Thomas est arrivé avec une chanson, il y avait tout, c’est la grosse chanson de l’album. […] On a capoté, le drummer et moi. On lui a dit que personne d’autre n’allait la chanter outre lui. Je n’ai jamais tripé sur les chanteurs et chanteuses à voix, je ne suis aucunement ça non plus, j’ai toujours tripé sur les timbres de voix et sur la manière de chanter du monde. Jean-Thomas, je trouve qu’il a un timbre vraiment particulier, un petit côté punk dans sa voix, pas punk sale, mais dans la hauteur de sa voix et j’ai toujours tripé sur sa voix. Moi, je me suis toujours senti imposteur, j’ai commencé à chanter parce que je ne trouvais pas de monde pour chanter mes chansons et pour mes groupes. Je me disais que Jean-Thomas a tout pour le faire. […]
Jean-Thomas : […] C’est vrai qu’au début, on se claquait des jams, des enregistrements d’une heure… […] À un moment donné, on en est venu à la conclusion qu’on avait envie de faire des chansons, c’était une forme musicale qui nous parlait plus. […] On a changé la forme, mais ça nous a aidés à trouver un son.
Fred : C’est comme si la première partie où on était plus dans le jam, c’est le moment où on sortait tout le méchant, toute la frustration, moi c’est comme que je le vois. […] Je m’en foutais de la forme, je faisais juste me défouler sur ma guitare. C’est comme si on devait aller extirper les émotions négatives avant de se remettre à composer d’une manière positive.
© Calendes, photo tirée de leur page Facebook
Myriam : Qu’est-ce qui vous inspire le plus pour créer une chanson?
Jean-Thomas : L’album parle de tellement de choses différentes, c’est nos vies. On dirait que cet album-là, comment je le vois, pour ma part, j’ai mis ma vie sur pause et j’ai regardé en arrière. C’est ça qui m’a inspiré. Je n’avais jamais pris la peine. Ça va vite, la vie, plus on vieillit, plus ça va vite. […] Je suis arrivé à un point où musicalement je ne savais plus j’étais qui, moi aussi j’avais perdu intérêt un peu à faire de la musique, en même temps c’est l’affaire qui m’allume le plus. Je pense que c’est nos vies qui nous ont inspirés pour l’album. Les textes parlent de nous.
Fred : C’est comme des balises qu’on a mises dans une période de nos vies. Je rétorquerais que contrairement à mon projet personnel où je parle beaucoup de moi dans ma perception intérieure, dans les textes qu’on a écrits là-dedans, il y a quelque chose de plus large, des constats de la vie en général, on parle de ce qu’on voit, de ce qu’on observe, de ce qu’on ressent, mais au sens large. Je pense que les thèmes sont plus collectifs. Il y a moins de «je» dans les chansons, c’est plus à la troisième personne. C’est plus « il se passe ça, je vois ça. » Oui, il y a des chansons qui sont un peu plus une affirmation de quelque chose […]. Par exemple, La vie est bien trop belle sans toi et La revanche, ce ne sont pas des chansons qui parlent de… c’est plus comme des messages qu’on voulait lancer à la vie en général, à un type de personne, mais on a décidé d’y aller dans une trame sonore un peu plus punk, plus rock alternatif, je ne sais pas comment le dire. Je pense que c’est très global, c’est très « constat de ce qu’on observe. »
Jean-Thomas : […] Il y a des chansons, comme Tout va bien, qui parle de la naissance de ma fille, les côtés plus obscurs et plus joyeux de toute cette nouvelle affaire de la vie, La vie est bien trop belle sans toi parle d’une relation toxique, La Revanche parle …
Fred : … Des gens condescendants, que tu ne peux pas rétorquer parce qu’ils se sentent supérieurs aux autres. […] Il y a des variantes d’une chanson à une autre. Ouragan c’est vraiment plus un constat, tu observes ce qui se passe dans la société aujourd’hui. Il y a des trucs plus psychédéliques, comme La fièvre…
Jean-Thomas : La fièvre, ça part vraiment de l’état fiévreux, physique. Comment on se sent quand on a la fièvre. J’ai eu le flash quand je faisais de la fièvre, tu n’es pas bien quand tu fais de la fièvre. C’est comme une fresque. […]
Fred : Il y a quand même 112 qui vaut la peine. […] On était dans une soirée de création, on l’a écrit chacun de notre bord en revenant avec nos idées. Le texte, la musique s’est vraiment fait…
Jean-Thomas : C’est le cœur de l’album. On ne peut pas écrire plus une chanson en équipe que ça.
Fred : Ça parle de ça, en fait.
Jean-Thomas : […] Cette chanson parle de notre constat par rapport au milieu de la musique.
Fred : C’est un petit doigt d’honneur au milieu de la musique, cette chanson, c’est juste dit différemment. […] Il y a des phrases qui veulent dire qu’on va continuer de faire de la musique pareil même si on se fait 20$ à faire un spectacle au Quai des Brumes et qu’il paraît qu’il faut qu’on donne tout en même temps, qu’on passe nos journées et nos nuits là-dessus pour que ça fonctionne. Est-ce que c’est vraiment ça qui importe ou on va continuer à faire de la musique qu’on espère qui va rester? On a essayé de ne pas rentrer dans le quétaine, mais je trouve que le message est pertinent. En ce moment, dans le milieu de la musique, tu peux espérer percer, mais tu ne sais plus par où passer et à quel point ça dure. Il faut qu’à la base de tout ça il y ait quelque chose de positif, que ce soit juste comme « on va aller faire de la musique, on va aller boire une bière et on ira faire un spectacle au Quai des Brumes et on sera bien heureux avec ça. » […]
Myriam : Quel est votre processus de création ?
Jean-Thomas : Il n’y a pas une chanson pareille. […] Souvent, quelqu’un amène une idée, et on la développe à deux, que ce soit une suite d’accords, un thème… Ça s’est pas mal fait en équipe.
Fred : C’était vraiment naturel. Le processus, c’est qu’un arrive avec une idée, et si l’idée ne plaît pas tant à l’autre, l’autre le dit, on argumente, on arrive avec d’autres idées on passe à une autre, on trouve une autre idée de mélodie, des fois on les jamme, des fois Jean-Thomas enregistrait la pratique et on réécoutait, on essayait de sortir des idées par-dessus. Des fois on se disait « telle section, peut-être moins, cette section est à retravailler», donc on avait des « devoirs » mais on savait où aller. Souvent, on avait des textes, on sortait des idées ensemble, il y a quelques chansons qui ont été comme ça, on les retravaillait ensemble. […] C’est ça qui était beau, tu avais l’approbation de deux personnes qui ont des goûts musicaux quand même similaires, mais qui n’ont pas tout le temps les mêmes références et référents de création, donc ça enrichit le tout. En général, c’était vraiment du travail d’équipe. Même en studio on avait de nouvelles idées. […] Quand notre instinct nous disait que c’était bon, on se posait plus de questions.
Jean-Thomas : […] Plus on a composé, plus on se développait d’une manière. Dimanche, on se remet à composer de nouvelles chansons parce qu’on s’ennuie de faire ça. Je suis pas mal sûr qu’on va arriver avec d’autres réflexes. On a développé notre manière de travailler. On a été capable les deux de mettre de l’eau dans notre vin, les deux de suivre notre instinct. […] On voulait que ce soit plus spontané, mais pas du spontané garroché. L’idée de base qu’on travaillait, on voulait garder l’essence, c’est pour ça qu’on a gardé les chansons avec des formes simples, concises. On voulait garder l’idée principale et ne pas trop dénaturer nos chansons. Il y a qu’on a travaillé, travaillé, travaillé, qu’on a arrêté d’aimer et qu’on a arrêté de jouer […].
Fred : On a trouvé une manière de créer après. Les quatre premières étaient plus dures un peu. Elles ont été évidentes mais en même temps difficiles. […]
Jean-Thomas : On s’est entourés d’une équipe de feu, aussi. On a développé notre façon de travailler, on a fait plus confiance à notre instinct. Plus on a fait de chansons, plus l’expérience rentrait. On a fait plus confiance à l’équipe. […] On s’est fait confiance mutuellement.
Fred : En studio, il y a eu de la magie. William Gough et Francis Major étaient deux éléments clé, des membres vraiment ultra importants du projet parce que c’est eux qui ont compris quelque chose au-dessus de tout…
Jean-Thomas : Ils ont carrément compris ce qu’on voulait faire, plus que nous quasiment…
Fred : … Je dirais plus que nous. On sentait ce qu’on voulait faire, mais on n’arrivait pas à le verbaliser en studio en termes d’arrangements. Eux, ils ont réussi à faire ça. Quand tout a pris forme, c’est comme si tout était clair dans notre tête. On a composé deux chansons, on en a composé deux autres, on était rendus à huit, on en a fait une dernière. Les cinq autres ont été vraiment rapides parce qu’on avait l’idée de vers où on s’en allait avec ce projet-là. Il y avait des trucs qu’on avait déjà faits, mais on les a terminés, on les a concrétisés.
Jean-Thomas : Il n’y a pas un processus qu’on a fait pour tout l’album, chaque chanson était différente. Il y a des chansons qui étaient plus personnelles, ou d’autres comme 112 où Fred et moi on a travaillé en équipe. Celle-là en fait, Fred était à mon appartement, c’était la seule fois que ma blonde est partie avec les deux enfants, Fred était dans la chambre de mes enfants, je lui ai dit de faire le refrain, que je ferai les couplets dans le salon. On s’est donné un thème, un mot. […] On a pris les deux parties et ça fitait ensemble. On les a retravaillés ensemble, mais on a essayé de garder les idées de base. Le danger quand tu es un musicien, que tu as étudié en musique, que tu connais la théorie, c’est que tu ajoutes plein de couleurs pour ta peinture, c’est cool, mais ça peut déraper. Tu peux aller vraiment dans le côté technique et tu veux aussi plaire. Tu écoutes les autres qui jouent à la radio, tu te demandes pourquoi eux ils jouent à la radio, faut-il les imiter? C’est un autre piège. Je pense qu’on a gardé des idées qu’on avait de base en nous, avec l’aide des gars on a réussi à rester naturel.
© Pochette officielle de Calendes
Myriam : Pourquoi avoir choisi le nom Calendes pour votre groupe?
Fred : Parce que sinon c’était Big Bang Hologramme (rires). C’est tout ce que j’ai à ajouter. […] On cherchait sans arrêt…
Jean-Thomas : … C’était pathétique. On s’est fait des soirées sur FaceTime, Fred et moi, de deux heures à écrire des noms. On s’en écrivait. […] Au début, c’était le Fjord, on aimait bien ça, mais il y a un groupe qui s’appelle Fjord et ça marche le groupe, ça serait épais de s’appeler Le Fjord. […] Ça a été dur de trouver le nom. Quand Fred m’a envoyé Calendes, je me suis dit « OK, il n’y a pas de question à se poser…»
Fred : C’est pas moi! J’ai aucun mérite!
Jean-Thomas : C’est toi qui me l’as envoyé, mais c’est Marie-Pier qui a fait la pochette qui nous l’a proposé, quand elle nous a envoyé la pochette écrit Calendes en bas. […]
Fred : On était sur le bord du délire, on n’était plus capable. On voyait qu’il fallait trouver un nom. Ce n’est pas rien de trouver un nom. Faut que le nom accroche. […] Le mot calendes, on tripait. On trouvait qu’avec la pochette et tout, tout prenait sens. Il y avait un laisser-aller, un lâcher prise aussi du genre on ne trouvera jamais mieux avec tout ce qu’on peut trouver.
Myriam : Fred, tu as lancé un album il y a quelques mois, qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans un autre projet et un autre album la même année?
Fred : Les deux sont arrivés à terme au même instant. Mon album personnel qui est sorti en juin aurait dû sortir une année et quelques mois avant. J’avais réservé Le Ministère en mai 2019. J’ai eu beaucoup de problèmes avec cet album-là pour plusieurs raisons. Ça a été beaucoup d’obstacles et ça a fait que ça a toujours retardé, puis il y a eu la COVID, parce que le lancement devait être en avril. Le lancement a été reporté 3 fois. Ça a repoussé le projet et les deux sont arrivés à terme. On avait envie de partager ça et de passer à une autre étape de création. On avait fait le tour, ça faisait un an et quelques mois qu’on était en studio. On avait envie de partager, de faire découvrir. C’est un peu aussi pour ça que je l’ai lancé en pleine pandémie mon autre album, je voulais passer à autre chose, je ne voulais pas éterniser ça, je voulais que ça se passe, on ne sait pas quand ça va recommencer, on a aucune idée quand, ça ne sert à rien d’attendre, faut créer des choses et les répandre. Advienne que pourra.
Myriam : À quoi peut s’attendre le public quant à votre son?
Jean-Thomas : Je trouve ça dur de répondre à cette question-là, je ne veux pas être prétentieux ou quelque chose. […] Je pense que comme on est deux, deux visions, deux humains différents quand même, mais qu’on a mélangé ça, je pense quelque chose d’assez rafraîchissant. Je ne veux pas utiliser ce mot-là de manière prétentieuse… Je pense que c’est assez rafraîchissant parce qu’on mélange des affaires, on n’est pas dans la grosse exploration de la musique indienne avec du punk, je pense qu’il y a un côté pop accessible qu’on a les deux en nous mais différemment, mais on s’est permis quelques progressions d’accords un peu … Par exemple, Astronaute, la progression d’accords n’est pas naturelle. Il y a tellement de musique aujourd’hui, dire que c’est rafraîchissant, c’est prétentieux, tout est rafraîchissant parce qu’il y a mille affaires. Je trouve qu’il y a quelque chose d’authentique et de rafraîchissant, mais je n’aime pas utiliser ces mots-là pour parler de nous. […] C’est ce que je voulais, que ce soit authentique.
Fred : On écoute des styles de musique et ça a vraiment … on parlait de Wilco tantôt, il n’y a personne qui va dire on dirait du Wilco en nous écoutant, mais tu sens qu’il y a des petites touches dans les chansons plus douces. Même William Gough, qui a réalisé, tripe sur Wilco. On a écouté du punk rock aussi, ce n’est pas ça, mais il y a des bouts quand même. J’affirme qu’il y a une touche de punk rock dans l’énergie, dans certains riffs, dans la manière de jouer le drum, dans la manière de chanter, je trouve qu’on est allés un peu plus dans … on chante avec une touche punk dans la manière à ne pas chercher à tout donner dans l’articulation. On a un message à livrer, on le garroche de manière structurée et sentie. Il y a un peu cette couleur-là, même si à la base on ne s’est pas dit qu’on faisait un groupe de punk. Ça veut dire que c’est peut-être juste dans l’énergie de certaines chansons. L’indie rock on en a écouté aussi, ce n’est pas ça non plus. Je trouve que ça colore cet album-là. On tripe beaucoup sur The National, mais ça ne ressemble pas à The National […]. On n’a pas pensé à aucun groupe quand on est arrivé pour les arrangements. Will est arrivé avec tout son bagage, il écoute de la musique qu’on aime, il a de la richesse dans ses arrangements dans sa manière de visualiser, il n’essaie pas de beurrer parce que c’est à la mode. Il ne va pas aller dans des clichés, il va faire ce qui sert la chanson. Il sait ce qu’on aime, ce qu’on écoute. Le mot rock est peut-être un peu trop fort, mais ça teinte un peu. Le punk rock. La musique alternative, le indie, le folk. Le folk il y en a là-dedans, c’est sûr. Ma sœur, en écoutant Calendes, a dit […] qu’il y avait une profondeur dans les textes, mais en même temps qu’il y avait une légèreté, il y avait un mix de rafraîchissant, elle a utilisé le même mot, mais en même temps il y a une profondeur, on sent que vous avez du fun dans la musique. C’est ce qu’on nous a dit à quelques reprises.
Jean-Thomas : On a juste fait un spectacle à cause de la pandémie, un an avant, après ça n’a pas adonné, on était plus en mode studio, mais ce band-là de A à Z, c’est du fun, on veut que les gens aient du fun à écouter.
© Photo tirée de leur page Facebook
Myriam : Vous avez lancé votre premier extrait, Astronaute, le 6 novembre, qu’est-ce qui vous attend pour le futur?
Fred : On a eu une bonne nouvelle ce matin, Astronaute a embarqué sur le réseau NRJ. Elle a même joué hier soir déjà. On va voir ce que ça va donner.
Jean-Thomas : Sinon, on lance quelques chansons d’ici janvier, en janvier on lance l’album. Pour le lancement, c’est sûr que ça va dépendre de la pandémie. On aimerait faire de quoi, mais on ne sait pas quoi encore. Numérique? Hybride? Est-ce que ça va être possible en janvier? Je ne pense pas… […] Numérique, j’ai comme l’impression que les gens ne sont pas habitués de voir un spectacle en numérique. Je m’ennuie de jouer sur une scène, mais si ce n’est pas possible, ce n’est pas possible.
Fred : Au mois de janvier, c’est sûr qu’on va être confinés, mais on pourrait faire une performance acoustique tous les deux. […]
Jean-Thomas : On va faire de quoi, il va y un spectacle, peu importe la forme. […] On a deux clips de prêts, on va probablement en faire un autre bientôt, au mois de novembre. […]
Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, en y répondant?
Jean-Thomas : Qu’est-ce qui a été marquant pour vous dans le processus de studio d’enregistrement? Est-ce que quelque chose vous a marqué?
Pour être plus global, c’est vraiment dans le processus de création. Arriver dans le studio, ce n’est pas pareil. Ça s’apprend, jouer dans le studio. C’est une vie, le studio. Avant, il y avait des gens que c’était leur job d’être des musiciens de studio. Ça nous a amenés ailleurs totalement. Par exemple, La vie est plus belle sans toi ne sonnait pas comme ça, c’était presque une chanson de punk, en studio, on l’a enregistrée, on l’a entendue et on l’a trouvé poche. On l’a regossé pendant une heure. On savait qu’il y avait deux ou trois personnes qui écoutaient et regardaient. Je trouve que le studio, juste le fait d’y aller, ça a changé notre vision. On voyait les choses autrement.
Fred : De superposer des instruments, tu te rends compte que ça ne fonctionne pas. Dans un local, c’est le fun, ça sonne bien parce que tu es dans l’énergie, il y a une masse sonore, mais quand tu viens pour mettre ça, strate par strate, tu te rends compte que tu t’enfarges. […] L’oreille externe a fait qu’on a recommencé les bonnes choses et que les choses se sont replacées assez rapidement.
Jean-Thomas : Ce que je pense qui a été marquant dans tout ce processus-là de A à Z, de notre première répétition à aujourd’hui, c’est le travail d’équipe et la relation de confiance de tout le monde qui a participé à ce projet-là. […] La première fois en studio je me sentais petit dans mes culottes quand je devais chanter une de mes chansons en studio, c’était la première fois. Il y avait toute l’équipe de Charlotte Cardin parce que mon ami est son bassiste et il est passé prendre une bière pendant que je devais chanter ma chanson. […] J’étais stressé de chanter, je ne suis pas un chanteur à la base. Finalement, je me suis fait confiance. […] On a appris à se faire confiance et à faire confiance aux autres. Ça nous a permis d’aller ailleurs. […] Sur la chanson Demain, Fred fait un solo à tout casser. Pas que je ne fais pas confiance à Fred, c’est un incroyable guitariste, mais je me rappelle quand on a enregistré Demain, le solo de guitare, c’était le test de son avant d’enregistrer. Il y avait Will qui est un solide guitariste. Je pensais que c’était lui qui jouait, on part l’enregistrement pour voir si ça fonctionne. J’étais habitué d’entendre le solo de Fred en pratique, il a fait quelque chose de complètement différent, il a fait un solo à tout casser. […] Je me rappelle, Fred s’est fait confiance. Au début, il était intimidé par Will, mais finalement il a fait le solo et ça détruit ce solo-là.
Fred : Je pense qu’on a osé, qu’on s’est fait confiance dans des zones qu’on ne se serait peut-être pas fait confiance normalement.
1. Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle?
Fred : The National, The day I die
Jean-Thomas : Elliott Smith, Independence Day
2. Ta chanson de rupture préférée?
Fred : The Decemberist, On the bus mall
Jean-Thomas : Karkwa, Vrai
3. Ta chanson d’amour préférée ?
Fred : Bon Iver, Skinny love
Jean-Thomas : Beach Boys, Wouldn’t it be nice,
4. Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage ?
Fred : Marie-Claudel Chénard
Jean-Thomas : Jimmy Hunt
5. Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel?
Fred : 2nd grade, Hit to hit
Jean-Thomas : The National, Boxer
6. La chanson qui te rend le plus heureux ?
Fred : Wilco, Damned on Me
Jean-Thomas : Oscar Peterson, Place st-Henri
7. Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup ?
Fred : The National
Jean-Thomas : Wilco
8. La chanson qui t’obsède en ce moment?
Fred : Zen Bamboo, Regrets
Jean-Thomas : Brian Eno, Ambient 1 : Music for Airports
9. Une chanson que tu aimerais avoir écrite?
Fred : Avec pas d’casque, Dommage que tu sois prise, j’embrasse mieux que je parle
Jean-Thomas : Patrick Watson, Here comes the river
10. Ta chanson (à toi) préférée?
Fred : Calendes, Astronaute
Jean-Thomas : Demain