GIRARD et la douceur des paradoxes
© GIRARD, photo de Valérie Lévesque
Par : Myriam Bercier
MatTv.ca vous offre encore et toujours la chronique On vous présente, qui a pour objectif de vous faire découvrir des artistes qui passent sous le radar de la musique populaire. Cette semaine, on découvre ensemble GIRARD.
GIRARD est un auteur-compositeur-interprète de Québec. On a pu le découvrir il y a une dizaine d’années en tant que membre fondateur du groupe Monogrenade. On le retrouve également dans un autre groupe, KPLR, qui roule sa bosse depuis 2012. Puis, en 2016, il décide de se lancer dans l’aventure en solo en lançant l’album Chute libre. Avec ce projet solo, il propose une musique pop alternative et ambiante.
© GIRARD, photo de Valérie Lévesque
Tout en continuant de faire partie du groupe KPLR, il se retrempe les orteils dans son projet solo cinq ans après son premier album avec Simuler le bonheur, son 2e long jeu. L’album est coréalisé avec Simon Pedneault. Frédéric B. Girard, de son vrai nom, s’entoure de Pierre-Emmanuel Beaudoin (batterie), Vincent Gagnon (claviers), Ian Simpson (contrebasse), Rachel Baillargeon (violoncelle), Jean-Michel Marois (violons) et Sonia Joannette (harpe). Ce deuxième album offre une fois de plus une poésie introspective et aux arrangements envoûtants et hypnotisants.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec GIRARD la semaine passée. Nous avons parlé entre autres de comment les premiers albums de Leonard Cohen l’ont mené à se lancer dans l’univers de la musique, de l’équilibre qu’il trouve avec KPLR et son projet solo, de sa reprise de L’échec du matériel de Daniel Bélanger et de sa manière de gérer ses albums après parution. Sans plus attendre, voici notre discussion!
Myriam : Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique ?
GIRARD : Je pense que ce qui m’a amené à faire de la musique c’est qu’à un certain moment, en tant que mélomane, on a l’impression qu’il y a quelque chose qu’on voudrait entendre mais qui n’existe pas. Comme musicien, j’avais envie de créer de la musique que j’aurais envie d’entendre.
Myriam : Qu’avais-tu envie d’entendre que tu n’entendais pas, musicalement?
GIRARD : Pour GIRARD, j’avais découvert les premiers albums de Leonard Cohen, un peu sur le tard. Ces albums sont plus axés sur la guitare et la voix. J’ai une formation en guitare classique, et j’avais envie d’essayer quelque chose dans ce genre, axé sur la guitare classique et l’aspect lyrique de la voix, le tout, avec des arrangements plus poussés. Sur le dernier disque, on a exploré plus avec des synths. Certains me disent qu’on dirait des synths à la Stranger Things, je trouve ça cool comme vibe.
Myriam : Tu as fait partie de deux groupes, Monogrenade et KPLR, puis tu as lancé un album en solo en 2016, pourquoi t’être lancé dans l’aventure solo tout en gardant le pied dans l’aventure de groupe?
GIRARD : Je pense que j’avais besoin de moments d’introspection. Ça faisait une dizaine d’années que j’étais dans le milieu. J’avais toujours été dans des projets collectifs, j’aimais ça et j’aime encore ça parce que c’est le fun, de partager des idées et de voir comment ça évolue en fonction des perspectives de tout le monde. Mais j’étais rendu au début trentaine et j’avais besoin de trouver ma voie au travers de tout ça, de retrouver quelque chose de plus intime, de plus personnel, faire une introspection. Étrangement, ça a toujours été ça le cycle depuis le début. Avec KPLR, on a fait deux albums, puis j’ai eu besoin d’une période d’introspection, ça a donné le premier album de GIRARD. Puis on a refait un disque avec KPLR, et j’ai refait un autre disque de GIRARD après. Ce que je ressens, aussi, c’est que dans mes projets en groupe ça me permet d’être un peu plus extraverti dans ce que je fais, d’être plus dans le défoulement, et après, c’est comme si j’étais dans le hangover et que j’avais besoin d’une période d’introspection et de faire quelque chose de plus intime, de plus épuré et de plus retenu.
Myriam : J’imagine que c’est ainsi que tu expliques que ce que KPLR et GIRARD offrent est assez différent?
GIRARD : Oui. Souvent, les chansons, quand je les écris, que ce soit pour KPLR ou pour GIRARD, la première esquisse ressemble à ce que ça donnerait pour GIRARD. C’est le fait de collaborer avec d’autres personnes, de passer de la guitare classique à des gens aux horizons variés, comme Didier Noreau, le batteur de KPLR, qui rame et bûche sur une batterie, c’est sûr que ça amène la chanson ailleurs. L’intensité augmente. Pour moi, ça part de la même origine, c’est juste que ça va dans des arrangements tellement différents que ça donne un résultat qui paraît vraiment à l’opposé, mais en réalité, ça part de la même source.
Myriam : Qu’est-ce qui t’inspire pour écrire des chansons?
GIRARD : C’est souvent les paradoxes. Ce que j’aime, quand j’écris, c’est que des fois j’écris des choses que j’aime parce que je comprends ce que ça veut dire tout en ne comprenant pas. Ça te laisse un peu perplexe. J’aime beaucoup les paradoxes. Je ne pense pas faire de textes engagés politiquement. Parfois oui, sur Simuler le bonheur il y a eu quelques vers qui s’en allaient vers ça, mais en général, je pense que ce qui m’inspire à l’écriture, c’est vraiment les paradoxes. C’est le mot qui me vient à l’esprit.
Myriam : Sur ton plus récent album, Simuler le bonheur, tu offres tes compositions originales, sauf pour une reprise d’une chanson de Daniel Bélanger, L’échec du matériel. Pourquoi avoir choisi de faire une reprise?
GIRARD : Cette chanson-là, c’est une des seules que je prends plaisir à m’approprier et à jouer. C’est une chanson qui est très spéciale pour moi, car quand je commençais à faire de la musique, j’étais dans une mauvaise passe. Quand Daniel Bélanger a sorti cet album, il a fait un spectacle gratuit au Métropolis, du style premier arrivé premier servi. Ma blonde et moi sommes arrivés, il pleuvait et on a été les derniers à pouvoir rentrer et assister au lancement de L’échec du matériel. Depuis, je suis tombé en amour avec cet album. C’est une chanson qui me hante et qui m’accompagne depuis longtemps. J’avais envie de la faire. Tout le monde qui a participé à la chanson a vraiment apprécié la faire, ça a donné quelque chose de vraiment tripant, je pense.
Myriam : As-tu un processus de création? Si oui, lequel?
GIRARD : Je n’ai pas vraiment de processus… en fait, oui, il y a un processus. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas de rituel avant de me mettre à travailler. Pour moi, c’est du travail. Le processus créatif, comment je le vis, c’est que le premier esquisse de la chanson n’est pas mature, même si des fois j’ai l’impression que ça va ressembler à ça. Dès que j’ouvre les micros, c’est là que ça se passe. Quand je compose quelque chose, je vais être sur mon divan en bobette avec mon café et quelque chose d’intéressant va sortir et je me dis « ça va être parfait de même. » Mais dès que j’ouvre les micros, que je mets mes écouteurs et que je rentre dans ma bulle, là j’entends les choses différemment, c’est là que le processus commence. Je me mets à tout changer de bord, changer les tonalités, changer l’approche de la guitare. Je me force à sortir de ma zone de confort pour essayer de découvrir la chanson. La façon dont je vois ça, c’est que je sais le moment où ça se passe, c’est comme si ça devenait une rencontre, comme si je découvrais la chanson pour la première fois et qu’on passait un moment ensemble. C’est souvent cette piste que je garde. Pour GIRARD, toutes les pistes je les fais tout seul chez moi, en guitare-voix, je ne les refais pas après. Je garde ce moment, quand ça fait des heures, des jours, des semaines que je travaille dessus et que finalement je rencontre la chanson, qu’on passe un moment ensemble et que j’ai le cœur qui bat à toute vitesse. C’est ce que je garde.
Myriam : Qu’aimerais-tu qui ressortent de tes œuvres? Quels thèmes, messages par exemple?
GIRARD : Aucun (rires). Honnêtement, surtout en vieillissant, je me rends compte que je n’ai pas envie de me limiter à quoi que ce soit. Ça se peut que j’arrive avec un album hyper joyeux et différent à un moment donné. Je n’ai pas envie d’être associé à des thèmes ou un univers en particulier, j’essaie de garder ça ouvert le plus possible, sans me mettre de barrière.
Myriam : Qu’est-ce qui t’attend dans les prochains mois?
GIRARD : Présentement, on est en composition avec KPLR. Comme c’est un album, pour GIRARD, qui s’est fait pendant la pandémie et que je suis un artiste en auto-production, que je me finance moi-même et que des fois c’est long comme processus, j’ai un emploi sur le côté. Le seul revenu que j’ai en ce moment, ce sont mes revenus de radio satellite. Tant que ce modèle fonctionne et que je peux produire mes affaires, ça va bien, mais je n’ai pas d’équipe derrière de moi de promo, de booking. Je n’ai pas de tournées. Tout ce que je peux faire c’est continuer de faire de la musique, de composer et de faire d’autres albums jusqu’à ce qu’éventuellement ça aille ailleurs, que je collabore avec d’autres personnes. Pour le processus de cet album, le cycle est complet dans ma tête. Présentement, je travaille sur du nouveau matériel avec KPLR.
Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, en y répondant?
GIRARD : Pourquoi est-ce que chaque fois que tu finis un album, ton premier réflexe c’est de le rejeter après?
La réponse que j’aurais à apporter, je ne l’ai pas vraiment, mais je me questionne beaucoup là-dessus ces temps-ci. Parce qu’à chaque fois que je vis un processus d’album, je suis toujours très emballé pendant l’enregistrement, pendant le processus de création, je me dis que c’est ce que j’ai fait de meilleur dans ma vie et que j’ai hâte que les gens l’entendent. Je suis euphorique. Une fois que c’est fait et que c’est sorti, je ne veux plus l’entendre, je ne veux pas en entendre parler, je ne veux pas le voir… je deviens super anxieux par rapport à ça, et j’aimerais trouver une façon de casser ça et d’être fier de ce que j’ai fait, de le porter sur mes épaules et d’aller le jouer. C’est la question que je me pose. […] Dans un contexte de groupe, c’est plus facile. Tu es une gang et tu t’épaules là-dedans, le risque est partagé, mais tout seul c’est plus difficile. Des fois, je me dis que je vais être uniquement un auteur-compositeur-interprète qui ne fait que des disques, qui ne fait pas de spectacle. Pourquoi pas? Mais au fond de moi-même, j’ai envie d’aller jouer, d’avoir un contact avec le monde, mais c’est comme à sec à ce niveau-là depuis quelque années et je me suis habitué comme ça, je m’enracine là-dedans.
1. Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle?
Buzzcut Season, Lorde
2. Ta chanson de rupture préférée?
One Of Us Cannot Be Wrong, Leonard Cohen
3. Ta chanson d’amour préférée ?
Le temps est bon, Bon entendeur et Isabelle Pierre
4. Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage ?
Valérie Lévesque (@artvalerieofficiel)
5. Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel?
Tranquility Base Hotel & Casino, Arctic Monkeys
6. La chanson qui te rend le plus heureux.se ?
Fame, David Bowie
7. Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup ?
Hubert Lenoir
8. La chanson qui t’obsède en ce moment?
Lost In Yesterday, Tame Impala
9. Une chanson que tu aimerais avoir écrite?
La complainte du phoque en Alaska
10. Ta chanson (à toi en tant qu’artiste) préférée?
À rebours