Une bouffée d’air frais souffle sur les planches de Duceppe
Par : Annie Dubé
Que vous soyez ou non des lecteurs avérés de l’autrice Naomi Fontaine, il se passe un mouvement dans l’air du temps, chez qui sait sentir l’âme d’une salle de théâtre, avec l’arrivée récente de l’adaptation de Manikanetish sur les planches de Duceppe.
Accompagnée d’un groupe de jeunes acteurs qui en sont parfois à leur première expérience professionnelle, Naomi Fontaine, qui incarne sa propre histoire, entre la présence et le recul, nous amène à bord du train de son évolution personnelle en racontant cette jeune enseignante qui retourne dans la communauté autochtone d’Uashat, située entre ses souvenirs et son futur, quelque part entre un état de familiarité et d’altérité.
Une mise en scène inventive et simple, qui réussit à élargir nos perspectives imaginaires
S’il y a bien une chose à nommer, c’est d’abord la fantastique mise en scène de Jean-Simon Traversy, qui met brillamment en lumière la dynamique entre les personnages, qui construisent peu à peu un lien émotif et de confiance. Passant d’une époque narrative à une autre, d’une célébration merveilleusement chaleureuse à des moments de tragédies ordinairement indicibles, on traverse ensemble cette quête multiforme qu’est la vie.
Grâce à cette simple mais ingénieuse vision des possibles, on tombe carrément dans l’histoire. Comme si on en faisait partie dès la première apparition des jeunes acteurs sur scène, qui interagissent avec le public de manière hors du commun et sans prétention, pour réchauffer la salle et briser la glace de l’hiver.
La lumière de la relève et le pouvoir de la transmission intergénérationnelle
L’une des joies que procure cette distribution rafraichissante, c’est le talent de chacun de ces jeunes artistes qui campent leur rôle. Ils ne manquent pas de nous toucher, les uns après les autres, avec une présence personnelle qui se fait réellement sentir dans son unicité. Plus ça va, et plus on s’attache à ces acteurs et leurs personnages, terriblement craquants de spontanéité dans leur interprétation et investissement.
L’ambiance musicale se déploie en arrière-scène avec la présence discrète d’un jeune guitariste dans ce décor scolaire, et qui est parfois accompagné par l’un des personnages qui déambule entre les limites de l’espace intangible, ce qui est très organique et réussi. On ressent, dans cet éclatement des murs, de nouveaux horizons, une sorte de gigue en rond, dans notre manière de percevoir la façon d’habiter une scène de théâtre.
Toutes les émotions
On pleure, on rit, on sourit, on leur souhaite le meilleur. Malgré quelques dialogues difficilement audibles à cause de petits détails techniques ou de prononciation un peu rapide, on manque des dialogues, mais on réussit à se reprendre assez vite.
Le brio de ces belles âmes réunies m’a fait étrangement penser à une sorte de Société des poètes disparus, quant à l’impact de la rencontre initiatique entre une enseignante et un groupe de jeunes, tous à la recherche de sens et d’appui. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’une comparaison, puisque le résultat est définitivement distinct et a une saveur unique, presque indescriptible, encore plusieurs heures après avoir vu l’œuvre.
Voilà une excellente solution culturelle pour mieux s’imaginer l’ampleur de notre ignorance collective ou personnelle au sujet de ces histoires qui habitent le territoire du Québec, que tout allochtone ou autochtone ayant soif de souveraineté narrative profiterait à voir d’ici le 8 avril prochain!
Le public s’amusera particulièrement d’y redécouvrir un classique de… Corneille!
De toute beauté.
Les arts de la scène et la pub corpo, un bon mélange?
Sur une autre note plus blasée, je me demande encore ce que je pense des capsules vidéo corporatives présentées sur des miniatures écrans aux côtés de la scène de Duceppe, avant le spectacle. Bien que je salue le défi de communication, puisqu’il est important de se démarquer et d’informer au sujet de cette institution culturelle d’ici qui célèbre de manière bien méritée sa 50e saison, il me semble que je n’ai pas du tout envie que mon expérience des arts vivants ressemble à un vol sur les ailes d’Air Canada dans un avenir immédiat.
À bon entendeur… Joyeux anniversaire quand même! Champagne! 7up! Longue vie à Duceppe et aux dialogues interculturels.
D’après le roman de Naomi Fontaine
Mise en scène Jean-Simon Traversy
Adaptation théâtrale Naomi Fontaine et Julie-Anne Ranger-Beauregard
Interprétation Lashuanna Aster Vollant, Charles Buckell-Robertson, Marcorel Fontaine, Naomi Fontaine, Sharon Fontaine-Ishpatao, Marc-Olivier Gingras, Emma Rankin, Scott Riverin, Jean-Luc Shapatu Vollant, Étienne Thibeault, Alexia Vinci.
Crédit de couverture : Danny Taillon
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