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Hamitlon révolutionne le cours d’histoire à la place des arts

De la révolution américaine à la révolution scénique

Crédit Photo : Photo Officielle d’Hamilton

Par : Bruno Miguel Fernandes

J’ai toujours eu un faible pour les œuvres qui revisitent l’histoire en la tordant un peu, pas pour la déformer, mais pour lui donner un angle inattendu.

C’est un peu le plaisir que j’ai à écouter Les pires moments de l’histoire de Charles Beauchesne où des événements parfois poussiéreux sont présentés dans un nouveau contenant mélangeant humour et de savoir. Et ce que j’aime là-dedans, c’est la rigueur derrière le détournement : on sent qu’il y a du sérieux, mais aussi une liberté créative qui rend l’expérience unique.

Avec la comédie musicale Hamilton, on est dans le même genre de démarche, mais transposée sur une scène de théâtre.

Ici, c’est l’histoire d’Alexander Hamilton et l’indépendance américaine qui se raconte au rythme du rap, du R&B, de Jazz et du hip-hop, avec une énergie moderne et percutante qui rafraîchit complètement notre regard sur un récit qu’on pensait figer dans les manuels scolaires.

Créé en 2015 par Lin-Manuel Miranda, Hamilton: The musical a rapidement pris le monde d’assaut récoltant une pluie de prix, dont onze Tony Awards, un prix Pulitzer et un Grammy.

La pièce s’est imposée comme une véritable révolution sur Broadway, alliant l’exigence d’une grande fresque historique à une approche musicale résolument contemporaine.

En plus des salles combles partout où elle est jouée, le spectacle a même eu droit à une captation diffusée sur Disney+, confirmant son statut de phénomène culturel mondial.

Et cet été, c’est Montréal qui a droit à cette production d’envergure, présentée à la Place des Arts. Mais au-delà de sa réputation et de ses récompenses, ce qui frappe surtout, c’est la manière dont la production prend vie sur scène.

Décors et costumes en mouvement

Crédit Photo : Photo Officielle d’Hamilton

Sur scène, les costumes étaient simples, mais redoutablement efficaces : des habits d’époque dans les tons beiges, qui créaient un contraste surprenant avec les décors minimalistes faits de palissades de pierre, de structures et de passerelles en bois.

Ce choix donnait une grande liberté aux acteurs, permettant des transitions fluides, des entrées originales et un jeu de mouvements toujours dynamique.

Les uniformes neutres devenaient aussi une toile sur laquelle s’ajoutaient des vestes ou uniformes colorés, servant à illustrer les alliances, les statuts ou les moments clés liés à l’indépendance américaine.

Au centre, un disque amovible ajoutait une dimension ingénieuse : tantôt il représentait les déplacements, tantôt il figeait les performeurs dans le temps, offrant ainsi un nouvel angle à leur message.

Les chorégraphies oscillaient entre finesse et noblesse d’époque, tout en intégrant des touches modernes et contemporaines, une fusion étonnante qui servait parfaitement le propos.

Quand les pères fondateurs s’expriment en flow et en harmonie

Crédit Photo : Photo Officielle d’Hamilton

Ce qui frappait d’abord, c’était la précision et l’énergie des interprètes. Les flows s’enchaînaient avec une virtuosité désarmante : fusillades verbales rapides et essoufflantes quand il fallait impressionner, puis passages plus lents et mélodieux qui laissaient l’histoire respirer et révélaient ses enjeux.

Chaque style de rap semblait associé à la personnalité d’un personnage, donnant une couleur unique à chacun.

Parmi les moments forts, difficile de ne pas citer la ballade du roi George III, où l’immaturité enfantine du souverain, mêlée à un humour pince-sans-rire, apportait un vent de fraîcheur au milieu des tensions dramatiques.

Ou encore l’entrée de George Washington, présentée avec une puissance bombastique, accompagnée de coups de canon en rythme avec la chanson.

Les sœurs Schuyler, elles, arrivaient comme un girls band R&B pétillant, irrésistible.

Et puis Satisfied, où Angelica Schuyler révèle ses sentiments pour Hamilton à travers un jeu de scène et des flashbacks absolument brillants et magistralement construits.

Sans oublier les débats politiques transformés en rap battles, qui malgré l’époque présentée, demeurent parfaitement cohérents avec l’ensemble de l’œuvre. À travers les portions de rap, se glissaient aussi des harmonies splendides, tantôt à deux, à trois, ou tout l’ensemble. On retrouve souvent cette ampleur dans les comédies musicales, mais rarement avec un tel équilibre entre modernité, histoire percutante et théâtralité maîtrisée.

Un autre coup de génie était la manière dont certaines paroles, répliques ou mélodies reviennent à différents moments du spectacle. Elles marquent le passage du temps, soulignent un changement de morale ou révèlent comment une même situation est vécue de façon différente par chaque personnage.

Cet effet miroir a trouvé son apogée dans la finale, où toutes les épreuves, les choix et les mots échangés tout au long de l’histoire se sont cristallisés en une conclusion à la fois profonde et bouleversante de la trajectoire de vie d’Hamilton.

Il y a eu ce moment de déclic, où les paroles et mélodies récurrentes prenaient tout leur sens. Ce n’était plus seulement un rappel, mais une construction subtile qui révélait une évolution, autant des personnages que de l’histoire.

J’ai réalisé à quel point il fallait une finesse musicale exceptionnelle pour tisser ainsi des fragments éparpillés et les faire converger vers un tout cohérent. Chaque retour, chaque motif me ramenait aux scènes que je venais de vivre, mais avec une compréhension différente, plus profonde, comme si l’œuvre elle-même m’invitait à relire son chemin, avec des yeux neufs.

Hamilton est présenté en anglais, avec une diction rapide qui, par moments, peut donner l’impression qu’on perd quelques bouts dans le flot. Toutefois, cela  ne m’a jamais empêché de suivre l’essentiel : les tensions, les dualités, l’évolution des personnages et surtout les émotions qu’ils portaient.

La musicalité, le rythme et l’énergie suffisent à faire passer le message, même quand le débit nous échappe un instant.

Un rendez-vous qui traverse le temps

Crédit Photo : Photo Officielle d’Hamilton

Hamilton: The Musical demeure à la Place des Arts jusqu’au 7 septembre. Pour ma part, je suis ressorti ébloui par ce mélange d’histoire, de modernité et d’émotion brute.

Comme avec mon faible avoué pour les détournements historiques, j’ai trouvé ici une œuvre qui réussit à faire découvrir, émouvoir et divertir en même temps.

Si vous hésitez encore, rappelez-vous ce que répète Hamilton : do not throw away your shot (ne laissez pas passer votre chance). Un conseil qui vaut aussi pour ce spectacle : foncez, vous ne le regretterez pas.