Du vertige à la mélodie : le voyage du The Overview Tour

Par : Bruno Miguel Fernandes
Le rock progressif, ce n’est pas le genre musical qui s’apprivoise du premier coup. Trop long pour la radio, trop éclaté pour plaire aux amateurs de refrains faciles, trop exigeant pour ceux qui cherchent une écoute d’arrière-plan. C’est une musique qui se déploie en labyrinthes : des riffs qui bifurquent, des structures qui s’effilochent avant de se reconstruire, des chansons qui ressemblent plus à des aventures qu’à des morceaux. J’ai accroché tardivement au prog, peut-être justement parce qu’il demande de se laisser dériver sans savoir où ça va finir. Longtemps, j’ai trouvé ça trop chaotique, trop éloigné des repères familiers. Mais c’est aussi ce qui fait sa beauté : une liberté totale, presque déconcertante, où chaque musicien semble repousser les murs de ce qu’une chanson peut contenir.
Et puis un jour, un ami m’a introduit à Steven Wilson. Chanteur, compositeur, producteur, multi-instrumentiste : il incarne à lui seul toute la palette du prog. Avec Porcupine Tree, en solo ou dans ses multiples collaborations, il a été l’une des portes d’entrée qui m’ont appris à apprécier les nuances musicales, à comprendre qu’une montée en intensité ou un détour atmosphérique pouvaient être aussi essentiels qu’un refrain accrocheur. Le prog m’a rendu plus attentif à l’architecture d’une pièce : ses respirations, ses contrastes, ses tensions et ses libérations. Bref, il m’a appris à écouter la musique autrement, avec reconnaissance pour l’artisanat derrière chaque détour sonore.
Avec le The Overview Tour, Steven Wilson revisite une carrière foisonnante qui n’a jamais cessé de se réinventer. Le spectacle se déploie en deux volets : une première partie consacrée à son plus récent album, The Overview, formé de deux longues pièces immersives, puis une seconde où il revisite des chansons phares de sa discographie. Plus qu’un simple concert, c’est une expérience audio-visuelle pensée comme un voyage panoramique à travers ses multiples visages. Hier soir, au MTelus, Steven Wilson l’a prouvé avec éclat.
The Overview : contempler le quotidien de la Terre depuis l’immencité de l’espace
20h, la salle est remplie par une foule… assise ! Décision qui me laissa perplexe, peut-être pour s’assurer que tout le monde voie l’écran géant derrière le groupe. Wilson confiera plus tard avec humour qu’il doute lui-même de ce choix, tiraillé entre les moments planants et les passages plus rock et énergiques.
Il débute avec Objects Outlive Us (23 minutes). C’est un vrai concours de précision , les sections Objects Meanwhile et No Ghost on the Moon / Heat Death of the Universe étaient particulièrement jouissives à voir performer. Les transitions entre portions chantées, plus structurées, et segments instrumentaux captivaient du début à la fin. Suivra The Overview (18 minutes), porté par une narratrice qui énumère des phénomènes astrophysiques grandissants, accompagnée de visuels d’étoiles, constellations, des jeux de couleurs et de camera hypnotiques.
Au cœur de The Overview, on retrouve cette idée de changement de perspective inspirée de l’overview effect, ce basculement que ressentent certains astronautes en voyant la Terre de l’espace, fragile et minuscule au milieu du cosmos. Wilson joue avec ce vertige pour nous forcer à revoir nos évidences, à replacer nos drames et nos victoires humaines à l’échelle de quelque chose de bien plus vaste. Les chansons traduisent ce décalage : Objects Outlive Us oppose le quotidien le plus banal à l’immensité galactique, tandis que The Overview adopte le regard lointain d’un astronaute, où souvenirs intimes et pertes deviennent poussière dans le vide. Les visuels prolongent ce jeu d’échelle, entre hyperréalisme et surréalisme, accentuant l’impression d’un voyage où l’humain se dissout dans le grand tout.
Deuxième souffle : retour sur Terre pour relancer le voyage

Après l’entracte, Wilson ne se contente pas de jouer sa musique : il la met en espace. Ses concerts tiennent du rituel sonore et visuel, où chaque lumière, chaque projection et chaque silence ont un rôle précis. Là encore, son approche reflète parfaitement ce que j’ai appris du prog : l’émotion naît de l’ensemble, pas seulement d’un riff ou d’un couplet.
Après King Ghost et Home Invasion / Regret #9, Wilson, avec un sourire en coin, s’adresse à ceux qui seraient venus par erreur ou qui le découvriraient : « Désolé d’être ici depuis 1h20 et d’avoir seulement entendu quatre chansons. » (traduction libre) L’échange illustre le côté long, complexe et imprévisible du prog. Wilson admet aussi que sa musique peut sembler exigeante, moins accessible, mais rappelle qu’elle repose toujours sur une proposition ultra sincère et unique. Il enchaîne avec What Life Brings, sa seule chanson de moins de cinq minutes, puis Pariah, qu’il décrit comme moment de repos pour ceux en quête de structure ou d’un simple refrain.
Impossible Tightrope fut un autre sommet, une performance où chaque section, chaque solo et chaque transition complexe s’enchaînaient avec une fluidité désarmante. Tous les morceaux, incluant aussi Staircase, Vermillioncore et Harmony Korine, étaient autant des voyages, parfois abrupts, parfois aériens, mais toujours cohérents, capables de transmettre l’émotion à travers les changements de tempo et les structures sophistiquées, voir cinématographique. En rappel, il conclut avec The Raven That Refused to Sing, une final à la hauteur, empreint de tension dramatique et de virtuosité maîtrisée. Chaque note semblait trouver sa place, chaque silence respirait avec intention.
Un dernier écho, avant le silence

Steven Wilson reprend la scène du MTelus ce soir et a promis d’offrir un setlist différent. Je recommande fortement d’y aller, non seulement pour The Overview, qui démontre un talent et une pertinence incroyables, mais aussi pour le voir reprendre ses chansons de manière plus libre, plus décontractée par la suite. The Overview a une intention claire, artistique et définie, tandis que la seconde partie permet de savourer la nuance, l’improvisation et le plaisir pur de la musique. Wilson réussit ainsi à offrir à la fois une démonstration de virtuosité et un moment de partage humain, confirmant pourquoi il est une figure incontournable du prog contemporain.