Amours et maux, amour des mots
L’auteur Daniel Leblanc-Poirier, crédit photo : bandcamp.com
À ceux qui se posent la question « Quel livre lire pour comprendre les milléniaux ? » d’une part et « La poésie, quoi de neuf? » de l’autre, je conseillerai d’abord de se détendre ̶ un simple et trivial « Que vais-je manger ce soir? » aurait suffi! ̶ puis, si les symptômes persistent, je recommanderai le dernier roman de Daniel Leblanc-Poirier. Dans les deux cas, Le deuil tardif des camélias mettra fin aux affres qui les taraudent :
- les jeunes de la génération Y sont bien des hominidés comme les autres, avec des histoires d’amour fluctuantes, des histoires de fesses fulgurantes, des amitiés pas toujours loyales et des prises de conscience cruelles;
- la poésie va bien, merci, elle continue d’éclore au creux des têtes bien faites!
Quant à ces mêmes milléniaux, gageons que cette chronique amoureuse, légère et amère comme une bière de printemps, sonnera juste à leurs oreilles. Étudiants dilettantes, Laurent et Étienne partagent tantôt un appartement, tantôt les filles, tantôt leurs angoisses. L’angoisse, pour Laurent, s’appelle Florence : une ex manipulatrice et insidieuse. Pour Étienne, elle porte le nom d’une maladie-peut-être, attrapée par insouciance. Rien de révolutionnaire, rien de sensationnel, une tranche de vie somme toute assez banale si ce n’est le ton badin sur lequel nous sont contés rupture, coucheries, deuil, flâneries montréalaises, montée d’addiction, amitiés, désamitiés, cigarettes près du fleuve et filles « au visage de pomme ». Quelque chose de décalé et d’hypnotique qui confère à ces camélias fanés un parfum entêtant.
Crédit photo : pixabay
Et puis, il y a la langue. Surtout, la langue. Puissance poétique portée par des mots du quotidien jonglés avec culot, verve acadienne, langage contemporain et tournures montréalaises tissés serré, truculences de style, l’écriture de Leblanc-Poirier sait, avec brio, sublimer la créativité du français grandi de ce côté-ci de l’Atlantique, usant avec maîtrise du canevas exigeant de la langue académique. C’est la voix originale d’une jeunesse canadienne francophone (Leblanc-Poirier est né en Acadie, a poussé à Gatineau et mûri à Montréal) pour qui les paradoxes n’en sont plus et qui s’assume, nord-américaine mais parlant une langue minoritaire, fière de ses racines mais tournée vers une culture rassembleuse. Une jeunesse qui ne veut plus être à part tout en restant elle-même.
Intrigués? Marchez jusqu’à la librairie la plus proche, ouvrez le bel objet que vous tenez entre vos mains, couverture rigide et joli visuel, et commencez… par le commencement. Chapitre 1 : « (…) Elle a reçu mes paroles comme des clous, elle était là, crucifiée sur sa chaise, et elle me regardait sans bouger. Ses yeux se sont imbibés d’eau, son visage est devenu rouge comme si j’avais écrasé la tomate de son cœur et que la purée lui était montée à la tête. C’était la fin, probablement un nouveau début, que je m’étais dit, sans trop me croire, en soufflant la chandelle pour éteindre son visage. »
Vous l’aurez compris, Daniel Leblanc-Poirier est une plume prometteuse qui pourrait bien compter dans la relève littéraire francophone de la prochaine décennie. Et puisque le travail et l’univers d’un écrivain passe obligatoirement par le filtre d’un éditeur, saluons l’audace des Éditions L’Interligne pour avoir laisser libre champ à une écriture hybride là où d’autres auraient psalmodié des règles de grammaire!
Le deuil tardif des camélias de Daniel Leblanc-Poirier est paru en 2016 aux Éditions L’Interligne.
Texte révisé par : Johanne Mathieu