Une famille tricotée serrée
© Gunther Gamper
Par Sébastien Bouthillier
Serge revient d’Europe. Il a voyagé pour fuir. Ses sœurs Denise, Lucienne, Monique et Nicole, ses tantes Gilberte et Charlotte attendent sont retour sans s’apercevoir que ce sont elles que le jeune homme de 25 ans a fui. Serge retrouve aussi son père, qui se réfugie à la taverne et que la surdité ne rend pourtant pas aveugle à ce qui se passe, mais silencieux…
Cadet des cinq enfants, Serge (Francis Ducharme) a grandi entouré par ses sœurs qui l’ont bichonné. Aujourd’hui, elles médisent les unes sur les autres pour s’attirer sa préférence. Chacune veut qu’il l’aime plus que les autres. Jusqu’où peut-on tolérer l’amour entre frère et sœur quand le désir l’alimente?
Par son mariage avec un médecin anglophone, Monique (Mireille Brullemans) a tenté de s’arracher à sa famille du Plateau-Mont-Royal. Or elle trompe son époux avec un amant, l’ami de son frère. La substitution n’opérera pas longtemps, elle avouera à Serge qu’il l’attire… Elle tisse les mailles d’un tricot qu’elle veut ôter.
Denise (Geneviève Schmidt) mange ses émotions érotiques inavouables en engouffrant des tartes à la Farlouche. C’est son mari qui se détourne d’elle, l’a considérant trop grosse. Ni Monique ni Denise n’intéressent Serge, c’est pour Nicole (Mylène Mackay) que bat son cœur, son séjour de trois mois en Europe lui a procuré le recul pour réfléchir et le confirmer.
La musique sinistre composée par Laurier Rajotte bat le rythme répétitif des années qui s’écoulent dans la continuité, sans rupture entre l’enfance naïve, l’adolescence ingrate et l’âge de raison… Dans cette pièce où les répliques fusent en chorale, la musique accompagne le basculement de Serge et Nicole vers le grand jour, celui où ils annoncent qu’ils emménageront ensemble.
Mais ils n’annoncent pas leur amour, il est inavouable, même si tous le connaissent. Les sœurs et les chipies de tantes devront admettre ce qu’elles redoutaient, mais qu’elles savaient depuis toujours car Serge et Nicole ont partagé le même lui depuis l’enfance. Où loge la folie? Chez ceux qui assument la transgression de l’interdit ou ceux qui se taisent par tabou?
Dans tous les cas, les uns et les autres se méprisent. Il est trop tard quand Serge dit à son père qu’il l’aime, il est sourd. Le couple incestueux le sauvera néanmoins de cette famille dysfonctionnelle en lui proposant d’emménager avec eux. Gilles Renaud incarne ce père, il a interprété le même rôle lors de la création de la pièce en 1974.
Si Bonjour, là, bonjour déborde de non-dits et de silence, les personnages l’expriment dans le joual maîtrisé avec finesse par son auteur, Michel Tremblay. C’est la langue québécoise qui sonne vraie, qui révèle les émotions dans leur authenticité et nous transporte grâce à ses expressions vers un imaginaire où nous nous reconnaissons puisque c’est le nôtre.
Bonjour, là, bonjour, présenté au théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 5 décembre.