L’amitié féminine, authentiquement
Par : Marie-Claude Lessard
À travers les alléchantes nouvelles créations provenant d’auteurs innovateurs, La Licorne glisse dans sa programmation 2017/2018 quelques pièces ayant précédemment connu un fol engouement. Parmi celles-ci, il y a Coco qui retrouve sa Petite Licorne adorée pour ouvrir le bal. Accumulant les supplémentaires et affichant complet presque tous les soirs, cette oeuvre de Nathalie Doummar, issue du Théâtre Osmose et appuyée par Lez Spread The Word, n’a point perdu de son mordant et de sa pertinence. Même s’il est ardu de se dénicher une place, tous les gens de la génération des 20 à 35 ans devraient y assister d’une manière ou d’une autre. L’exactitude des rapports amoureux entre amis résonne et trouble plusieurs jours après le visionnement du spectacle.
Coco s’articule donc autour de cinq amies d’enfance : Coralie (Nathalie Doummar et Sylvie De Morais Nogueira se partagent les représentations), obsédée par la maternité, Simone (Sarah Laurendeau), auteure-compositrice-interprète réservée, Vivianne (Anne-Marie Binette), idéaliste romantique un peu naïve, Maggie (Marie-Ève Perron), une croqueuse d’hommes assumée, et sa soeur, Katya (Kim Despatis), constamment en guerre contre le système capitaliste. Après la mort prématurée de l’une d’entre elles, les quatre femmes en deuil se réunissent dans le chalet où elles ont vécu d’innombrables joies, peines et querelles pour lire les lettres que Coco a rédigées à sa fille fictive.
Un tel synopsis suggère un récit mélodramatique dégoulinant de bons sentiments, mais Doummar évite tous les pièges grâce à une écriture franche, corrosive, recherchée et accessible. Empreint de poésie moderne, le texte illustre brillamment les quêtes existentielles de jeunes femmes éduquées à mener une vie parfaite. L’angoisse de performance et les pressions sociales sont dépeintes avec une justesse sidérante, tout cela en ne se perdant jamais dans les morales de bas étage. Coco réussit une prouesse des plus impressionnantes : faire rire et pleurer dans le même soupir, dépassant ainsi prodigieusement le stade d’alternance entre hilarité et tristesse.
Au-delà de s’avérer drôles et émouvantes, les répliques traduisent un vocabulaire familier réaliste se moulant sans faille aux diverses périodes abordées dont l’adolescence et le début de la vingtaine. Kim Despatis offre une interprétation particulièrement amusante et crédible d’une jeune fille de douze ans excitée à l’idée de faire partie d’une gang de filles plus vieilles qui boivent en cachette et débitent des secrets sur les gars populaires de l’école. Les retours en arrière se déploient à l’intérieur de la trame narrative avec cohérence. Les changements de costumes se déroulent devant le public sur les côtés de la scène, ce qui s’inscrit magnifiquement dans le dynamisme instauré par l’inventive mise en scène de l’acteur Mathieu Quesnel. Les déplacements (ou leur absence) coulent de source et se conforment aux caractéristiques distinctes à chaque personnage et aux émotions incarnées.
L’intimité de la salle et le jeu nuancé et intelligent des comédiennes donnent non seulement l’impression aux spectateurs d’être eux-mêmes un protagoniste mais aussi de reconnaître leur propre clan dans les moindres détails. Les personnalités des filles, leur dynamique amour/haine, le langage coloré dénué de complexes, les silences éloquents, les petits tours inoffensifs, les drames partant d’un malentendu anodin, le déni collectif face aux situations graves et inévitables, tout y est. L’intrigue est ficelée avec tellement de finesse et de cœur qu’il est impossible de ne pas s’attacher aux amies et les quitter avec regret, les yeux bouffis.
Pour aboutir à cette sensation de vérité, Nathalie Doummar n’oublie presque aucun sujet tabou et son contraire. La découverte de l’homosexualité, les interrogations reliées, et l’asexualité sont spécialement explorés avec raffinement et subtilité. Les autres maux sociaux et mentaux comme l’infidélité et l’anorexie jouissent d’un traitement tout aussi respectueux et vrai qui réconforte et bouleverse à la fois. Pour toutes ces raisons, Coco est sans contredit l’une des meilleures pièces de la présente décennie, mais aussi un fabuleux héritage inoubliable pour toutes ces futures princesses imparfaites. Pour qu’elles s’aiment et s’acceptent ainsi.
Au Théâtre La Licorne jusqu’au 19 septembre 2017.
Texte révisé par : Marie-France Boisvert