un magazine web axé sur la culture d’ici

« Dommage que t’avais les yeux fermés » : Une exploration multidisciplinaire au Théâtre La Licorne

Que signifie réussir sa vie? Questions existentielles et théâtre multidisciplinaire

Dommage que t'avais les yeux fermés
Crédit photo : Théâtre La Licorne

Par : Élizabeth Stone

La pièce Dommage que t’avais les yeux fermés, présentée au Théâtre La Licorne, nous plonge dans l’univers intime de jeunes adultes aux prises avec leurs questionnements existentiels. Mise en scène par Benoît Vermeulen, cette œuvre brillante met en lumière la quête de sens et les réflexions profondes de ses personnages, tout en offrant un spectacle riche et sensoriel. L’autrice, scénariste et comédienne Pascale Renaud-Hébert nous invite à explorer la vingtaine à travers des thématiques poignantes et universelles, où l’humour et la poésie s’entrelacent subtilement.

Théâtre La Licorne
Crédit photo : Théâtre Le Clou

Un décor foisonnant et une mise en scène immersive

Dès le début de la pièce, le spectateur est frappé par un décor tout sauf épuré. Dommage que t’avais les yeux fermés se distingue par une scène dense, remplie de mille et un accessoires dont les symboliques sont multiples et parfois énigmatiques. Ce foisonnement d’objets, chaque élément portant son propre récit et sa propre signification, constitue un véritable terrain de jeu pour l’interprétation. Le spectateur est invité à décrypter ces symboles tout au long de la pièce, un défi stimulant, mais parfois difficile à saisir en une seule écoute.

Benoît Vermeulen, dans sa mise en scène, joue habilement avec cette abondance visuelle, créant un univers complexe où chaque objet semble renfermer une signification profonde, renforçant l’idée d’un monde intérieur tout aussi multiple et fragmenté que les pensées des personnages. Cette surcharge de symbolisme accentue la tension et l’intensité de la pièce, plongeant le spectateur dans une réflexion constante.

théâtre
Crédit photo : Théâtre Le Clou!

Une mise en abyme documentaire qui interroge

L’un des aspects les plus fascinants de Dommage que t’avais les yeux fermés est sa mise en abyme documentaire. À travers des moments où les personnages livrent leurs récits personnels, parfois bruts et intimes, la frontière entre fiction et réalité devient floue. Cette approche documentaire permet de dévoiler des facettes souvent cachées des personnages et d’amener le spectateur à une réflexion collective sur des thématiques universelles, telles que l’identité, la recherche du sens et les choix de vie.

Les témoignages des personnages, loin d’être des monologues abstraits, résonnent profondément dans la réalité de notre époque, où chacun est en quête de vérité et de compréhension face aux aléas de la vie. Cette insertion du documentaire dans le théâtre crée une expérience immersive, où les spectateurs sont invités à se confronter aux réalités personnelles des personnages tout en réfléchissant à leur propre existence.

Un regard interculturel et intergénérationnel

Dommage que t’avais les yeux fermés aborde également les enjeux interculturels et intergénérationnels avec une grande finesse. Les personnages, incarnés par Maxime-Olivier Potvin, Clara Prieur et Marie Reid, font face à des héritages culturels, des questionnements générationnels et des visions du monde qui entrent souvent en collision. Les dialogues, à la fois drôles et profonds, mettent en lumière ces tensions et enrichissent la réflexion collective sur les enjeux d’une société diversifiée et complexe.

Ce regard sur les différences culturelles et générationnelles s’accompagne de moments d’humour souvent décapants, mais qui ne manquent jamais de profondeur. La pièce traite de la manière dont les jeunes adultes se confrontent aux attentes sociales, aux influences extérieures, mais aussi aux héritages familiaux et culturels qui façonnent leurs choix.

L’humour comme outil de réflexion

L’humour dans Dommage que t’avais les yeux fermés est un véritable catalyseur qui permet de naviguer entre les sujets graves et les moments plus légers. Pascale Renaud-Hébert, à travers ses répliques drôles et ses situations cocasses, réussit à rendre ces préoccupations existentielles plus accessibles. Par exemple, Tristan et Mathilde, fraîchement rencontrés, utilisent une application qui simule ce que c’est d’avoir un bébé « au cas où », malgré leur relation qui ne dure que depuis 20 minutes. Ce genre de quiproquo fait sourire tout en accentuant l’immaturité et l’urgence de leurs décisions. L’humour, parfois acerbe, n’en reste pas moins un moyen de souligner la fragilité de ces jeunes adultes qui, face à des questions profondes et des décisions parfois irréfléchies, cherchent des réponses dans l’instant.

Mais Pascale Renaud-Hébert ne se contente pas de rendre ses personnages drôles, elle explore aussi leur désespoir avec une grande sensibilité. Clémence, par exemple, fait des rêves « en noir et blanc », dans lesquels elle fait ce qu’elle veut, mais où il n’y a « aucune beauté ». Tristan, de son côté, passe son temps à interroger les autres sur le sens de la vie pour éviter de se confronter à ses propres questionnements existentiels. Ces moments où l’humour s’entrelace avec la douleur donnent à la pièce une profondeur saisissante.

L’humour devient ainsi un moyen de creuser des vérités profondes, en mettant en lumière les contradictions et les fragilités des personnages. Ce mélange subtil entre la comédie et la réflexion philosophique rend la pièce non seulement accessible mais aussi profondément touchante. Les personnages, dans leurs moments d’introspection, trouvent refuge dans l’humour pour exprimer leur insécurité, leurs angoisses et leurs espoirs. Cela donne un réalisme rafraîchissant à la pièce, tout en offrant au spectateur des moments de répit dans un tourbillon d’émotions et de réflexions.

Une réflexion nostalgique sur la vingtaine et les questionnements existentiels

Dommage que t’avais les yeux fermés explore avec une grande délicatesse l’âge de la vingtaine, un moment charnière où tout semble possible, mais où les doutes et les questionnements existentiels sont omniprésents. La pièce reflète cette époque de transition où les jeunes adultes oscillent entre une liberté d’action qui semble infinie et des angoisses profondes liées à la recherche d’identité, d’accomplissement et de sens dans leurs vies.

Les personnages, en quête de réponses à des questions fondamentales sur l’amour, la carrière, et la place dans le monde, sont à la fois attachants et frustrants. Leurs préoccupations résonnent chez tous ceux qui, à un moment de leur vie, ont vécu ce passage tumultueux entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte. La pièce, dans sa capacité à capter cette période fragile et pleine de rêves, porte également une touche de nostalgie, nous renvoyant à notre propre vécu de cette époque incertaine.

Une expérience au-delà du théâtre

Dommage que t’avais les yeux fermés est allé bien au-delà de la question existentielle présentée en livret; Que signifie réussir sa vie? C’est une réflexion profonde sur les luttes intérieures, les héritages culturels et les relations humaines. Grâce à une mise en scène brillante de Benoît Vermeulen, et des performances exceptionnelles de Maxime-Olivier Potvin, Clara Prieur et Marie Reid, la pièce nous invite à réfléchir sur nos propres parcours et nos propres interrogations existentielles.

Pour enrichir cette quête de sens, Benoît Vermeulen insère ponctuellement des extraits d’entrevues avec des adolescents et des personnes âgées, qui partagent des réflexions sur des sujets aussi divers que la routine matinale, leur vision de l’amour ou de la réussite. Ces moments sont à la fois touchants et amusants, et contrastent habilement avec les confessions plus intenses des personnages.

Ce contraste crée une tension intéressante, où la naïveté des enfants et les regrets des aînés semblent parfois offrir une vérité plus brute et plus touchante que les hésitations des personnages principaux. Cela donne un aspect presque irréel aux réflexions de ces derniers, comme si la fiction de Dommage que t’avais les yeux fermés ne pouvait rivaliser avec la candeur du réel. Malgré les efforts de Maxime-Olivier Potvin, Clara Prieur et Marie Reid, ces intervalles documentaires soulignent peut-être la difficulté de transcender l’authenticité d’une parole brute face aux interrogations existentielles que les personnages tentent de surmonter. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’originalité des alliages entre le théâtre, le documentaire et l’utilisation du décor. Mais ce qui m’a réellement époustouflé, c’est la performance surprenante de Clara Prieur, en ballerine sur pointes, qui enjambe avec une grâce impressionnante tous les obstacles sur scène. Sa présence et sa danse apportent une dimension singulière à la pièce, marquant les esprits bien après la fin du spectacle.

Un spectacle à ne pas manquer pour ceux qui cherchent à se perdre et à se retrouver dans un tourbillon de sens et d’émotions.