Une tendre nonchalance

Par : Marin Agnoux
Quelques mois que le concert est annoncé mais seize ans que l’on attend. Ce vendredi 3 octobre, Elbow est de retour à Montréal au Mtelus après seize ans sans passer par la ville. Depuis le temps, plusieurs albums sont sortis, le groupe a continué de se métamorphoser avec leur musique et le public n’a fait que nourrir l’attente pour ce jour-là. C’est en pleine tournée de Audio Vertigo qu’Elbow monte sur la scène du Mtelus, croulant sous la joie du public et le bruit martelant des applaudissements. Les neuf musiciens montent sur scène, d’une confiance absurde, naturellement légers, le spectacle commence sur le premier morceau du dernier album Things I’ve Been Telling Myself for Years.
Elbow s’écoule dans un flux sonore qui nous traverse sans que l’on ait le temps de s’en rendre compte, la musique s’ancre sur notre peau et se faufile dans nos veines, c’est à se faire habiter.
Quelque chose d’hypnotisant se produit dans un intimisme orchestral : neuf musiciens, neuf multi-instrumentalistes, les instruments se mêlent, s’entremêlent, que l’on ne sait plus où en donner de la tête. Guy Garvey chante aux allures de Morrissey, charisme sensuel. Une voix grave se baladant sans jamais nous laisser suivre les mélodies de nos propres yeux, elle virevolte parfois ici, parfois là, mais ne peut se perdre et lui marche sur scène au pas nonchalant affirmé, ce n’est pas n’importe quelle scène, c’est la leur. La scène, ils savent se l’approprier comme rares le sauront, cette facilité dédaignante dont ils s’en emparent devient obsédante au fil du concert, l’on n’ose plus détourner le regard, absorbé par leur musique prenant nos corps et leur prestation irréprochable.

Entre anciens classiques et nouvelle formule, de One Day Like This à Lovers’ Leap, l’absence de seize ans se referme petit à petit juste devant nous, ce que l’on ne pensait ne plus pouvoir entendre nous passe devant morceau après morceau, l’on attrape ce qu’on peut pour en garder le meilleur en rêvant que l’on ne doive plus attendre aussi longtemps. Elbow ont fait un retour qui échappe à ce que je pensais assister, tout semblait si simple, si évident, une évidence qui ne se montra qu’au dernier moment, cachée par l’attente pendant des années.
Derrière quelques dizaines de personnes, j’observe assez sereinement, apaisé je pense, réconforté note après note par cette certaine tendresse qu’Elbow dégage. L’on ne pouvait pas leur en vouloir d’avoir attendu, le moment semblait trop précieux pour que nos pensées se laissent traverser par quelconque broutille d’ego. Elbow formait cette pièce rassurante, que chacun s’imaginait les yeux fermés, dans laquelle l’on pourrait fixer les murs sans jamais s’ennuyer. Le départ était différent cette fois ci, peut-être encore un peu triste, mais l’attente ne sera plus jamais longue.


