Un duo, une discorde sentimentale
Par: Ambre Sachet
«Abderhamane, Martin, David… »
Trois mots qui suffisent à justifier la présence de si nombreux quadragénaires fans d’Alain Souchon, le dimanche 12 juin, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, laquelle était loin d’être vide en cette célébration des Francofolies 2016. Le bouleversant Et si en plus y’a personne (La vie Théodore, 2005), intemporel et chanté à la suite des attentats de Charlie Hebdo en Janvier 2015, reste probablement le plus poignant du spectacle, marqué par le timbre de voix nasillard, presque écorché, de l’auteur-compositeur-interprète qui compte déjà 15 albums à son actif.
C’est une collaboration inattendue qui remonte à 1974 et qui réunit les deux amis de longue date Alain Souchon et Laurent Voulzy, qui signent ici leur premier album commun éponyme sorti en 2014, Alain Souchon et Laurent Voulzy. Les aficionados de la variété française auront certainement été rassasiés en cette fin de semaine après un ensemble de 20 morceaux dédiés en grande partie à la fibre sentimentale, dont les mélodies sont signées par Voulzy et les textes composés par Souchon. Un mélange de pop anglo-saxonne et de poésie française assumé par les deux artistes lors d’une interview avec Les Inrocks.
Après le célèbre J’ai 10 ans (1974) qui remporte l’unanimité d’un public nostalgique, le duo enchaîne leurs titres phares avec notamment Jamais Content (1977), C’est déjà ça (1993), La Ballade de Jim (C’est comme vous voulez, 1985), Le Soleil donne (Voulzy Tour, 1993), le premier single extrait de leur album Derrière les mots (2014), et le Pouvoir des fleurs (Caché derrière, 1992) rendu célèbre par les Enfoirés.
Après 40 ans de carrières individuelles, Alain Souchon et Laurent Voulzy n’ont décidément pas la même façon de parler d’amour, l’un un brin cynique, l’autre tartinant ses chansons simplistes de praline. Là où Souchon est bouleversant dans ses personnifications non forcées, Voulzy reste premier degré et burlesque dans un jeu de mime enguirlandé de froufrous rappelant le jabot du 18e siècle, dans lequel il semble être resté enraciné. La présence fracassante, charmeuse et mélancolique de celui qui passe son amour à la machine, contraste avec un musicien certes doué, mais dénué de charisme. Face à l’âme d’enfant fondamentalement libre s’opposent les carcans d’une mélodie vieillotte dont la résonance semblerait passée d’âge.
« Toi t’es plutôt canard ou plutôt poule ? », lance Souchon à ses musiciens avant d’entonner Poulailler song (Jamais content, 1977). L’éternel gamin enfermé dans le corps du septuagénaire semble voler la vedette à Voulzy, dont les talents de guitariste demeurent indiscutables mais dont la prose douteuse trace un fossé entre les deux univers musicaux. Le rêve du pecheur (Caché derrière, 1992) illustre parfaitement cette dissonance entre la recherche du texte propre à Souchon et les thèmes de vacances légers à la limite de la niaiserie signés Voulzy. La complicité reste pourtant palpable, et l’album se révèle intelligent de par une appropriation habile des sens: le goût des mots à Souchon et l’ouïe à Voulzy.
Les deux amis en rient encore aujourd’hui et partagent l’anecdote avec le public: c’est sur une déception et un balcon face au mur dans un appartement des Antibes que Voulzy et Souchon composent Somerset (Olympia 83, 1989), comme quoi l’inspiration peut émaner de tout et n’importe quoi lorsqu’on est artiste à part entière, chose que l’on doit concéder au chanteur, admirateur des Beatles. C’est effectivement une Foule sentimentale (C’est déjà ça, 1993) qui se lève avec entrain malgré le sérieux des places assises de la salle pour laisser partir les deux artistes sur une touche finale qui aura valu le succès de Laurent Voulzy, Belle Ile en Mer (Voulzy Tour, 1993) et Rockollection (Voulzy Tour, 1977).
Retrouvez les dates de la tournée d’Alain Souchon et Laurent Voulzy sur leur site officiel: http://www.souchonvoulzy.com/
Texte révisé par : Louise Bonneau