Une soirée historiquement russe

Par Lucia Cassagnet
Cette semaine dans la programmation 2024-2025 de l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM), c’était au tour de deux compositeurs russes de briller. Le célèbre Concerto pour violon de Tchaïkovski s’est opposé à la dramatique Symphonie no 11 de Chostakovitch sur la scène de la Maison Symphonique. Ce concert fait partie de la série présentée par la Fondation J. A. DeSève.
Pour la première oeuvre, le Concerto pour violon en ré majeur, op. 35 par le compositeur russe du 19e siècle Piort Ilitch Tchaïkovski, on a été gâtés par une invitation spéciale au violon. C’est le jeune prodige originaire de l’Arménie, Sergey Khachatryan, qui accompagnait l’OSM.
Jouant la plupart du temps les yeux fermés, submergé par la musique russe de l’époque classique, Khachatryan a, tout simplement, excellé. Le dictionnaire Larousse décrit le mot « prodige » comme quelque chose d’extraordinaire, de caractère magique ou surnaturel. C’était effectivement surnaturel d’assister à la prestation du violoniste.

Au-delà d’une technique impeccable, c’est sa compréhension des subtilités de l’oeuvre qui ont marqué davantage le public. Naviguant en sueur les discussions entre les instruments, qui parfois chuchotent entre eux ou débatent fortement à travers les barres de mesure, Khachatryan a amené le Concerto à bon port.
Tant la salle, que le chef d’orchestre Rafael Payare, que les autres musiciens de l’orchestre ont profité de cette représentation qui s’est terminée par une salle comble, debout, criant entre les applaudissements.
Il est d’ailleurs ressorti après son ovation pour offir en cadeau une pièce impromptu, après un petit moment de silence pour choisir quoi interpréter. Il aura ainsi allongé le plaisir de la salle durant quelques minutes de plus.
L’ère soviétique reprend vie
Après cette première moitié rayonnante, l’histoire musicale de la Russie a continué son cours. Faisant un saut dans le temps, on allait alors assister à la représentation de la Symphonie numéro 11, op. 103 « L’année 1905 » du compositeur Dmitri Chostakovitch.
Cette deuxième partie aussi avait des invités spéciaux : des étudiants en interprétation du Conservatoire de musique de Montréal, de l’École de musique Schulin de l’Université McGill et de la Faculté de musique de l’Université de Montréal dans le cadre du programme Immersion orchestrale.

Composée au début de 1957 en pleine guerre froide – où le capistalisme « de l’Ouest » s’opposait au communisme « de l’Est » – cette oeuvre revenait sur la révolution russe de 1905. Au début du 20e siècle, la société russe avait essayé d’ouvrir la porte à un régime qui ne serait pas sous le contrôle absolut des tsars.
Bien que n’ayant pas réellement abouti à un succès en tant que tel cette année-là, cet épisode a ouvert la porte à la révolution de 1917 qui finirait par installer le régime soviétique tant connu, dirigé à ses débuts par Lénine et Staline.
Cette première moitié de siècle en Russie aura vécu plusieurs révolutions et des guerres mondiales; la réalité de la présence militaire constante ne passe pas inaperçu dans l’oeuvre de Chostakovitch.
En effet, entre les trompettes, les tambours et les cymbales, le son de la Symphonie est authentiquement « soviétique. » L’arrangement des notes, imposant et discipliné, donne vie à l’Union Soviétique.
Par moments, lors des passages de répit où il semble que la guerre vit une trêve, la beauté d’une Russie renaissante se fait sentir. Sous les harmonies des instruments on imagine les cathédrales de Saint-Pétersbourg réouvrir leurs portes pour laisser rentrer le soleil sur leurs murs couverts d’art et d’or.

Encore une fois, le chef Rafael Payare a démontré que son talent n’a pas de limites. L’oeuvre de Chostakovitch est lourde, difficile, impressionnante. Pour Payare, c’est juste un autre mercredi (littéralement). Par contre, dès que les premières notes commencent à voler dans la Maison Symphonique, alors que le tempo augmente doucement, on voit le chef sortir de son mutisme à travers ses gestes et sa baguette magique (le bâton de direction).
Impeccable, attentif à chaque instrument posé devant lui, le chef d’orchestre nous fait rêver. Pour une rare fois, après que Payare ait fait se mettre debout les instruments un à un comme à son habitude, c’est ses mêmes musiciens qui l’ont forcé à retourner sur la scène pour un troisième round d’applaudissements (bien mérités, d’ailleurs).
En bref, la soirée, qui a offert un voyage dans le temps entre les deux Russies du temps moderne, a été époustoufflante et digne du qualibre que l’on connaît à l’OMS.
Pour connaître la programmation de 2024-2025, c’est ici.
Crédit photo de couverture : Antoine Saito
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