L’argent, une invention diabolique
©Julie Artacho
Par : Anny Lemire
Si votre maison pouvait parler, que dirait-elle? Serait-elle plutôt émotive et chétive ou agressive et costaude? Vous témoignerait-elle amour et compassion ou haine et insensibilité? Dans le même ordre d’idées, que pourrait-il se produire lorsqu’une maison est prise d’une telle haine qu’elle décide de s’abandonner à des pulsions meurtrières?
Le tout nouvel opus de Martine Desjardins répond à ces questionnements saugrenus. Mettant en vedette une maison possédant une personnalité propre, La chambre verte nous propose un délicieux récit à saveur gothique tournant autour de l’avarice et de la vengeance. Se déroulant au cœur de Mont-Royal (surnommée l’Enclave) dans le début des années 60, l’histoire s’ouvre sur un cadavre momifié dans une chambre forte. Déjà à partir de cet étrange épilogue, on présume que l’atmosphère sera particulièrement glauque.
En continuant la lecture, on rencontre la famille Delorme. La figure patriarcale, Louis-Dollard, est héritier de l’immense fortune de son défunt père (Prosper Delorme) qui a été acquise lors de bonnes négociations avec la compagnie Canadian Northern Railway au courant des années 10. Ayant été initié au bonheur de l’argent très tôt, Louis-Dollard s’éprend vite de ces bouts de papier à valeur marchande : il les vénère carrément. Se créant ainsi une religion tournant autour de l’argent et en consacrant sa vie à toujours en accumuler davantage. Quand la jeune Penny Sterling débarque dans la vie des Delorme, Louis-Dollard ne voit que la prétendue fortune qu’elle annonce. En effet, celle-ci prétend être la créatrice d’un jeu lui ayant rapporté un beau magot. Le patriarche de la famille se met alors en tête d’arranger un mariage entre son fils unique Vincent et la jeune Penny. Se munissant de l’aide de ses trois sœurs : Morula (qui adore se saouler à l’essence de vanille), Gastrula et Blastula ainsi que celle de sa femme Estelle, il essaie de trouver le point faible de cette nouvelle venue, celui qui lui permettra de la convaincre que Vincent est le bon homme pour elle, et ainsi donc empocher la fortune de la jeune femme.
Penny garde cependant un secret terrible et pourrait s’avérer plus étonnante qu’à première vue.
© Courtoisie
Ce roman se lit d’un trait. Les personnages tous aussi perturbants les uns que les autres s’absorbent avec plaisir, et les gentils nous font fondre le cœur. J’ai un coup de cœur tout particulier pour le couple Estelle et Louis-Dollard; leur avarice et leurs actions sans scrupules nourrissent les parties plus diaboliques à l’intérieur de moi, même si par moments, ils me répugnent totalement. En cours de lecture, on réalise que Vincent n’est en aucun point comme le reste de sa famille et qu’il ne veut rien savoir de la fortune familiale. Une belle morale sur la société de consommation d’après-guerre qui est encore une problématique aujourd’hui. L’intrigue est très bien tissée malgré la grandeur de celle-ci et nous mène à une finale explosive. L’auteure a également très bien intégré les descriptions de la ville ainsi que l’histoire ferroviaire de celle-ci. J’avais envie d’en lire plus sur la ville qui se voulait un projet de « cité modèle » dès 1910.
Courez vite vous le procurer chez votre libraire de quartier, au diable les dépenses!
Texte révisé par : Annie Simard