Douceur, générosité et émotion à l’état pur
© Martial Genest/MatTv.ca
Par : Christian Gaulin
Ce n’est plus un secret pour personne, Luce Dufault est l’une des plus grandes et des plus belles voix du Québec. En spectacle dimanche dernier, dans le cadre de la série de concerts en plein air Les arts s’invitent au Jardin, présentée à l’Espace pour la vie du Jardin botanique de Montréal, elle nous a offert une prestation alliant nostalgie, émotion et pur plaisir, en faisant un retour dans le passé à travers les pièces de son répertoire dont plusieurs ont marqué le monde musical d’ici. C’est dans un décor naturel enchanteur, sous les arbres et les pommetiers, que nous avons eu le bonheur de nous détendre l’oreille au son des magnifiques chansons Ce qu’il reste de nous, Belle ancolie, La complainte de la serveuse automate, Les uns contre les autres, Tu me fais du bien, J’ai regardé la rivière, Les vieux amants, You’ve Got a Friend, At Last, Des milliards de choses, Soirs de scotch, Mon Dieu, et plusieurs autres chansons marquantes.
En plus d’incarner la douceur, la sensibilité, la générosité et l’émotion, Luce Dufault est très drôle et elle s’adresse souvent à son public pour lui raconter une histoire, une anecdote. C’est un réel plaisir de la découvrir ou de la redécouvrir. Presque trente années ont passé depuis qu’on a fait sa connaissance comme choriste de Dan Bigras, puis la groupie dans La légende de Jimmy, la sublime Marie-Jeanne de Starmania, la chanteuse qui nous enivre avec sa voix et ses soirs de scotch ou la Émilie des Filles de Caleb sur scène. Trente années où elle est restée la même, les pieds bien ancrés sur terre.
Nous avons eu le bonheur de l’avoir en entrevue avant son spectacle. D’une grande générosité et simplicité, elle n’a pas hésité à se confier en nous jasant de ses débuts comme chanteuse, de ses grands moments de carrière, de sa famille, de ses craintes et de ses projets. Une belle rencontre à l’image de l’artiste touchante qu’est Luce Dufault.
Luce, la chanson est arrivée comment dans ta vie? La chanson est arrivée dans ma vie d’abord par mes parents, par ma famille. Je suis née en Ontario et ça se passait beaucoup dans les deux langues chez nous, parce que ma mère est issue d’une famille anglophone et vient d’Angleterre. On écoutait beaucoup de chansons françaises à la maison et de musique américaine. Moi, ça a commencé là, l’amour de la musique. Mais ma première piqure, ça a été Carole King avec l’album Tapestry. Par la suite, quand je suis arrivée au Québec, après que mes parents se soient séparés, j’ai découvert la musique francophone et principalement la musique québécoise, que je ne connaissais pas vraiment. J’avais 11 ou 12 ans. Et là ce fut Richard Séguin, Michel Rivard, Diane Dufresne, Starmania qui sont entrés dans ma vie. J’ai eu un gros coup de cœur et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à chanter, devant du monde, pas toute seule cachée derrière le sofa! J’étais en secondaire deux, je commençais à gratter la guitare et je venais de lâcher la flûte à bec… Je faisais des chansons de Connivence, un groupe qui a existé à la fin des années ’70, avec la chanson Le mât, que je chantais en m’accompagnant. Ça m’amenait ailleurs, ça me faisait du bien, c’était le fun… C’est vraiment là que tout a commencé… Ça fait longtemps, ça me ramène dans un beau moment…
Est-ce suite à ça que tu as décidé de participer au Festival international de la chanson de Granby en 1984, à 18 ans? C’est arrivé un peu après. J’ai fait un autre concours avant, radiophonique, en Outaouais, où je devais envoyer un démo. Granby a été mon premier vrai concours sur scène. Ça a été une très belle expérience.
Tu t’étais rendue loin dans la compétition? En demi-finale, quand même…
Tu as fait le circuit des bars. C’est de cette façon que Dan Bigras t’aurait entendue chanter et que c’est là que votre collaboration aurait débutée? J’ai commencé à chanter dans les bars lorsque je suis arrivée à Montréal. Je chantais dans un groupe rythm’n’blues qui s’appelait Stable Mates. Je travaillais dans les magasins le jour et dans les bars de blues sur la rue St-Denis les fins de semaine, des bars qui n’existent plus d’ailleurs. Et oui, c’est là que j’ai rencontré Dan, car il travaillait beaucoup dans les bars à cette époque-là, on s’est croisé et on s’est retrouvé à travailler ensemble sur scène, puis il m’a invitée à chanter sur son premier album pour faire des voix. C’est là que j’ai fait beaucoup de rencontres qui ont été très importantes pour moi, dont Lulu Hughes, avec qui j’ai travaillé beaucoup. Lulu a parlé de moi à Normand Brathwaite et je me suis retrouvée à faire Beau et Chaud à plusieurs reprises. Normand a parlé de moi à Luc Plamondon qui cherchait des nouvelles voix pour La légende de Jimmy. Luc m’a écoutée à la télé et il m’a appelée le lendemain de l’émission pour m’offrir le rôle de la groupie. Donc plusieurs de ces rencontres-là se sont faites dans les bars et ça m’a amenée vers autre chose.
Tu as beaucoup travaillé comme choriste, principalement au début de ta carrière. C’était un passage obligé pour toi ou si tu l’as fait aussi longtemps avec toujours le même plaisir? En fait, ça a été un accident de parcours, je dirais, parce que j’ai commencé comme soliste dans mon band, Stable Mates. Mais pour moi, c’était un peu se faire violence de me retrouver sur scène à tous les soirs, en avant, parce que j’étais très gênée, donc il fallait carrément me pousser pour que je monte sur scène. Donc de devenir choriste, ça m’a donné l’occasion d’être sur scène, de faire ce que j’aime. Moi, que je chante en avant ou que je chante en arrière, si je chante tout va bien, mais ça me permettait d’avoir moins de stress et ça m’a permis de gagner ma vie, car dans les bars, j’étais là plus par plaisir que pour ce que ça rapportait. Je suis partie travailler comme choriste pour Martine St-Clair, ça a été ma première job professionnelle et ensuite, je suis partie quatre mois en tournée avec Roch Voisine, comme choriste. Donc, c’est un peu comme ça que ça c’est fait. Mais ça a permis de replacer un peu les choses, car j’avais l’impression d’avoir fait les choses à l’envers, que j’étais arrivée trop vite en avant et je n’étais pas prête pour ça. D’être choriste, ça m’a permis d’être plus relax, de goûter à ce métier-là d’une autre façon et de profiter davantage de ce que je vivais. Et après je suis revenue par la bande comme soliste avec La légende de Jimmy et Starmania et là, je partageais la pression et la lourdeur d’un gros spectacle avec les autres solistes. Ça m’a permis d’apprivoiser le métier beaucoup plus pour ensuite partir avec mon premier album en tant que soliste, toute seule comme une grande.
Est-ce que tu as autant de plaisir à faire l’un que l’autre? Oui vraiment, moi, ce que j’aime, c’est chanter. Moi, quand j’écoute de la musique dans ma voiture, je ne vais pas chanter le « lead », je fais les harmonies de voix. J’ai toujours fait ça depuis que je suis toute petite.
En 1992, il y a 25 ans de cela, La légende de Jimmy est arrivée dans ta vie comme un cadeau. Est-ce que c’est là que tout a vraiment changé pour toi ou si c’est avec ton rôle de Marie-Jeanne dans Starmania, en 1993? Je pense que c’est une série d’événements qui ont fait en sorte que tout s’enclenche, pas seulement un. Ma rencontre avec Dan, avec Normand, avec Lulu… Tout ça m’a mis dans l’œil du public. Et ça m’a amené à Luc Plamondon pour La légende de Jimmy et La légende de Jimmy m’a amené vers Starmania. Donc, c’est vraiment un mélange de toutes ces belles rencontres qui m’ont portée plus haut et plus loin.
Le monde de la musique a beaucoup changé et n’est plus ce qu’il était avec le téléchargement et le piratage… C’est encore possible de vivre de sa musique? C’est tellement une question complexe à répondre, car il y a plein de choses à prendre en considération… Ça dépend d’où tu es rendu dans ta carrière, si tu commences ou si t’es déjà installé… Mais oui, c’est plus difficile maintenant, c’est clair, car il y a un revenu qui n’est plus là, celui de la vente de disques. Maintenant, il faut apprendre à faire les choses autrement, on peut améliorer des choses comme la distribution de l’argent, ça s’en va où, on ne le sait pas, mais ce n’est clairement pas dans les poches des artistes. Il va falloir trouver une solution à ça, mais entre-temps, il faut continuer à faire notre métier et continuer à tenter de faire avancer les choses. Mais, pour les artistes qui commencent, tout est possible. Ils n’ont pas connu comment c’était avant, il y a dix ans, vingt ans… Alors pour eux aussi, tout commence par un rêve et c’est la façon dont tu t’y prends pour atteindre ton rêve qui change, avec ce qui est en place. C’est une nouvelle façon de faire. Il y a beaucoup plus de visibilité aujourd’hui que dans le temps, avec les réseaux sociaux. Donc, il y a des avantages et des désavantages. Je trouve ça beau quand je vois des jeunes artistes qui commencent et qui se lancent avec fougue, avec résilience et courage. En même temps, si c’était à refaire pour moi, je pense que je me lancerais aussi tête première, comme eux. Bref, on se doit de s’ajuster, embrasser le changement et essayer de trouver des solutions.
Tu t’entoures de grands auteurs-compositeurs pour tes chansons. As-tu déjà été tentée ou peut-être as-tu déjà tenté d’écrire tes propres chansons? Oui, j’y ai déjà pensé, à force de me faire dire, « Ben toi, t’es juste interprète. » Ça ,c’est le genre de commentaire que je n’aime pas, mais en même temps, je le comprends, car à côté de quelqu’un qui fait tout, c’est juste ça, mais ce n’est pas rien… Il y a plusieurs auteurs-compositeurs qui ne chantent pas, qui ont besoin d’interprètes pour faire voyager leurs chansons et il y a des interprètes qui ont besoin d’auteurs-compositeurs pour leur écrire des chansons. Alors oui, j’y ai pensé et en même temps, j’ai toujours été si bien entourée au niveau des textes et des musiques. Quand je m’essaie, je trouve ça mauvais, car j’ai tendance à me comparer et là, je me dis non… je n’ai pas envie de me battre avec ça… Écrire, c’est un talent et je ne l’ai pas. Je n’ai aucun sens de la concision, je suis incapable de prendre une idée et de faire une phrase avec, de la développer pour faire un refrain ou un couplet.
C’est la même chose pour composer des musiques? Pour la musique, éventuellement, j’ai des gens dans mon entourage qui me poussent beaucoup à le faire, qui m’épaulent, pour ne pas nommer Richard Séguin, qui veut que je m’essaie, alors je m’essaie. Mais il y a juste lui pour l’instant qui a le droit d’entendre ce que ça donne et ça ne veut pas dire que ça va aboutir à quelque chose. Ça va peut-être rester seulement entre Richard et moi. Qui sait… Mais j’aimerais ça que ça débloque sur quelque chose, mais je ne me mets pas de pression. Il ne me manque rien. Lorsque je reçois une chanson, que je la chante, que tout est là et que j’ai l’impression que c’est à moi… Qu’est-ce que je peux demander de plus?
C’est comment de vivre et de travailler avec son conjoint? J’ai pratiquement connu que ça. Je travaille avec Jean-Marie (Zucchini) depuis La légende de Jimmy. Avant ça, il n’y avait pas grand-chose à gérer. C’est là que ça a commencé à se pouvoir, pour moi, de faire ce métier-là, car je me sentais épauler par lui et en pleine confiance. Et quand on a pensé à vouloir avoir des enfants, tout était plus simple, car on pouvait gérer nous-mêmes notre horaire en conséquence. Je ne voulais pas avoir à demander à quelqu’un si avoir un bébé, là, ça entrait dans l’horaire ou non. Je pouvais le demander à mon chum, mais pas à personne d’autre. Ça simplifie beaucoup les choses pour faire ce métier-là et être avec les enfants en même temps.
Tu parles d’enfants… Ta fille, Lunou, a 21 ans et ton fils, Mika, 16 ans. Avec des parents comme vous, est-ce qu’ils ont la fibre artistique, eux aussi? Mika, je ne sais pas, c’est difficile à dire à 16 ans et je pense qu’il ne sait pas encore vraiment ce qu’il veut faire plus tard. Et s’il le sait, il ne me le dirait pas nécessairement. Lunou, elle, oui, il y a un intérêt pour ça. Je ne vais pas parler pour elle, mais mettons qu’elle a un intérêt et l’avenir saura nous dire le reste. Je ne sais pas si c’est quelque chose qui va se développer, si c’est juste un passage. Ça lui appartient. Mais c’est beau de les voir aller. Moi, je veux juste qu’ils soient heureux tous les deux dans leurs choix. Quand on me demande si ça m’inquiète, si on revient à la question de tantôt par rapport au métier, c’est clair que oui. Mais en même temps, moi, je n’aurais pas aimé qu’on me mette des bâtons dans les roues, alors je ne le ferai pas. Non…
La question audacieuse… Ça fait presque 30 ans que tu fais ton métier. Le grand moment de ta carrière, selon toi, tu l’as vécu ou s’il est à venir? Ma foi… C’est une grande question… Ça dépend ce qu’on entend par « grand moment ». Honnêtement, les moments un peu immenses où tu pars dans un tourbillon et que tu te laisses porter par ça pendant des mois, je pense que ça c’est passé. Je dis ça, mais chaque projet est tellement différent et se vit différemment, comme Starmania, qui est tellement gros, tu vis dans cette bulle-là pendant deux ans et tu le vis en gang. Et il y a eu le succès du premier album, qui est un autre genre de bulle, mais que tu vis plus personnellement, avec ton band. C’est totalement différent, mais les deux sont tellement agréables à vivre et à porter… C’est pareil pour La légende de Jimmy, Les Filles de Caleb sur scène… Tous ces projets m’ont fait énormément de bien et si une autre création ou grand projet s’ouvre à moi, je suis ouverte et prête! Mais je n’attends après rien. Je vis mon métier, je le savoure, ça roule à un beau rythme et je suis pleinement heureuse et chanceuse de ce que je vis professionnellement. Mais je ne ferme aucune porte non plus, je suis capable d’en prendre plus!
Son bonheur, Luce Dufault le trouve dans quoi? Dans plein de choses, dans les rencontres comme celle-ci, sur la scène, en retrouvant mes musiciens, mon équipe et le public, dans la création des nouveaux projets, dans mes spectacles. Je le trouve aussi chez moi, à m’occuper de mes géraniums, à faire des bonnes bouffes, avec ma famille et mes amis.
Ton dernier album Du temps pour moi date de 2014. Tu as un nouvel album en vue? Écoute… Ça fait quatre ans que je dis « dans pas long », mais là, je t’avouerai qu’il y a une petite bulle qui commence à prendre forme, alors j’aimerais ça que ce soit quelque part en 2018, tôt ou tard dans l’année, mais en 2018.
Et à toi, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour les mois et les années à venir? La santé, parce qu’avec ça tout le reste suit, le bonheur de continuer à faire ce que j’aime, et qu’il y ait toujours quelque chose, un projet qui surgisse et qui nous garde en vie.
Questions bonbon :
On t’offre l’opportunité de faire un duo avec une personnalité québécoise : Diane Dufresne
Tu peux chanter avec un artiste international, en vie ou non, tu choisis qui? Peter Gabriel
La chanson fétiche de ton répertoire dont tu ne te lasses pas? Belle ancolie, paroles et musique de Richard Séguin.
Si tu n’avais pas été chanteuse, tu te voyais faire quoi? Plus jeune, ça aurait été vétérinaire, car j’aime trop les animaux. Et adulte, j’aurais été nutritionniste, car je suis passionnée de bouffe et de nutrition.
Luce Dufault prépare une tournée avec Marie-Michèle Desrosiers, Marie-Élaine Thibert et Martine St-Clair et un album idéalement pour 2018. Pour en savoir davantage sur les projets de Luce Dufault, consultez son site officiel ou sa page Facebook. Merci à Luce et à Jean-Marie pour leur grande générosité en lien avec cette entrevue.
Crédit photo : © Martial Genest/MatTV.ca
Texte révisé par : Johanne Mathieu