L’orgue en vedette pour faire résonner la Symphonie de Saint-Saëns
Par : Annie Dubé
Après un concert dédié entièrement à l’orgue la fin de semaine dernière, j’ai ressenti une brise puissante dans le toupet mardi soir, en découvrant le dernier spectacle de la 90e saison de l’OSM. Rafael Payare et ses fidèles musiciens étaient cette fois présents en compagnie de quatre organistes de renom qui, tour à tour, se sont partagés les claviers du Grand Orgue Pierre-Béique à la Maison symphonique de Montréal. On ne s’habitue pas à pareille beauté éphémère. Inoubliable cadeau au public.
Shin-Young Lee, Isabelle Demers, Jean-Willy Kunz et Olivier Latry ont vraiment réussi à trouver leur place en équilibre dans cet écosystème, juste assez propulsée par le tourbillon des musiciens de l’orchestre, pour faire jaillir un effet boomerang et donner sa pleine puissance à l’ensemble au complet.
Voici donc mon compte-rendu ludique du cinéma intérieur qui s’est joué en moi lors de ces heures passées en bonne compagnie musicale.
Toccata festiva, pour orgue et orchestre, op. 36
Dès les premières notes, on ouvre en grand. Combo orgue-orchestre, puissance mille. Harmonie et synergie réciproques.
Soudain, ce sont les vagues d’un océan sonore. Orgue-phare. Magie de flutes et de clochettes, on vogue d’une oreille à l’autre. Descente d’escalier par voie aérienne, murmures, tonnerre, fanfare. Est-ce que la musique est un pays imaginaire?
Puis, une douceur venant d’une chute, d’un ruisseau. Emportement des trompettes! Graduation vers les hauts sommets… Psychédéliques gouttelettes, tempête de beauté et splendeurs, envolées ténébreuses des clochers d’églises, on joue à cloche-pied sur nos sièges. Accalmie des orteils, jeux de Fée Clochette de l’organiste Shin-Young Lee. Autant en emporte l’élan, la première pièce se termine ici.
Symphonie concertante, pour orgue et orchestre, op. 81
Est-ce une vallée irlandaise, ou c’est moi qui m’imagine des affaires? Ça déboule les marches du pays lointain de la joie sonore. Musique générique du film de la vie, qui zigzague devant nos tympans. Passage du train de l’accélération des rythmes – espoir ascendant – ce sont les Andes de l’orgue! Beat vampiresque passager, rattrapé par la parade des musiciens agiles. Accalmie de lucioles… fin?
Non! Ce n’est pas fini. C’est le temps d’une musique qui rappelle l’entracte lors des parties de hockey à l’aréna des Canadiens. Un air de cirques de puces, en tournée, quelque part entre le rétro et l’antique.
La quatrième dimension nous amène vers l’entracte… je pense? Ding!
On applaudit ou on n’applaudit pas?
Disco-orgue, une symphonie loin dans l’espace. Quelle chance d’être là! Payare semble mimer un joueur de baseball qui frappe un circuit : elle est partie! L’entracte est bien là cette fois. Je suis soufflée comme les poumons de l’orgue.
Jubilate!, fantaisie pour orgue et orchestre, création mondiale de Denis Gougeon
Denis Gougeon a été ovationné pour cette pièce qu’il a composée spécialement pour l’OSM. Oui, je vous dis le punch avant de décrire la pièce. C’est que ce moment était émouvant, on espère qu’il en est fier.
Spirales de Transylvanie ludique – il faudra que je me questionne sur mes biais cognitifs concernant l’orgue et les vampires. C’est maintenant comme Hitchcock dans une fête foraine. Vous ne trouvez pas, vous autres? Juste milieu entre l’unicité de l’orgue et le tout de l’ensemble. Le morceau est dosé pour la complétude, qui emporte l’âme et soulève la pluie vers les nuages – qui font des bulles de savon.
Un gigueur folklorique qui danse la claquette dans ma tête, puis sur les alvéoles du monde de tout son souffle. Une armée d’anémones angéliques soulève la distance entre deux horizons de verticalités. Bravo, monsieur Gougeon, pour cette fable dans nos oreilles.
Symphonie no 3 en do mineur, op. 78, « Avec orgue » de Saint-Saëns
Voici la cerise sur le gâteau. J’ai envie de vous dire qu’il y a peu de mots, j’ai envie de vous dire d’aller découvrir cette symphonie par vous-même. C’était comme un merci à recevoir en cadeau. À un moment donné, j’ai vu le titre du tableau apparaître de nulle part en moi : c’est La naissance de l’organiste! Une pensée égarée me vient : on dirait soudainement une musique de Radiohead, dont le nom m’échappait, mais pas l’air. (C’était Motion Picture Soundtrack, le nom de cet air qui m’est venu à la mémoire.)
Un instant jouissif ponctué d’oublis. On dirait William Tell. Des chevaux qui galopent comme des cowboys, librement épiques?
Je ne sais pas. J’ai beaucoup trop d’imagination, mais je remercie sincèrement toute l’équipe de l’OSM de m’avoir procuré d’innombrables moments de grâce, tout au long de la saison 2023-2024. Vraiment, on s’attache à cet espace, où les codes et la magie se côtoient, pour produire une surprise, chaque fois. Et puis, on finit par reconnaître des visages familiers d’une fois à l’autre sur la scène. Merci, artisans de l’art symphonique.
Ne manquez pas le dernier concert, le jeudi 30 mai 2024, et visitez la billetterie de l’OSM pour vous procurer des billets avant qu’il soit trop tard!
Crédit de couverture : Antoine Saito
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