Triptyque à la TOHU
© Alexandre Gulliez
La nouvelle création des 7 doigts de la main insuffle un vent de fraîcheur au milieu circassien avec Triptyque, un spectacle immersif et onirique. Le collectif a invité trois chorégraphes étoiles à monter de courtes pièces (entre 20 et 40 minutes) s’inspirant de la virtuosité de leurs interprètes pour explorer de nouvelles formes narratives. Cela donne un spectacle de danse contemporaine intégrant les codes et certains éléments du cirque davantage qu’un spectacle de cirque avec de la danse, au même titre que l’était S de la compagnie australienne Circa, présenté à Montréal complètement cirque en 2013. Dans Triptyque, la performance des artistes s’appuie sur leurs corps plutôt que sur les appareils que l’on retrouve généralement dans les numéros de cirque contemporain. L’ensemble est organique et les trois pièces se font écho entre elles.
La première pièce s’ouvre sur une femme dans un kinbaku, suspendue au-dessus de la scène, autour de laquelle tourne un homme, curieux et attiré par ce qu’il voit. À la fois animal piégé et objet de désir, elle attend patiemment que l’homme délie ses cordes et libère son corps. Dans Anne et Samuel, la chorégraphe Marie Chouinard reprend des éléments connus de son répertoire et les adaptent bien au contexte. Les béquilles canadiennes, en quelque sorte sa signature, allongent les bras des interprètes au point d’en devenir de longues pattes de cervidés. On est fasciné par ces deux magnifiques faunes, Anne Plamondon et Samuel Tétreault, que l’on voit évoluer dans leur environnement naturel, où chaque mouvement est complémentaire à un autre. La prouesse est absente car on se concentre sur la poésie des corps en interaction, plutôt que sur la démonstration de leurs capacités exceptionnelles. On retrouve les thèmes de la dualité mâle-femelle, de la rencontre et de l’accouplement, très présents dans l’œuvre de la chorégraphe. Les costumes minimalistes qui laissent la chair dénudée, une conception de Liz Vandal, rappellent ceux de Cherepaka de Nadère Arts Vivant. Les costumes des deux autres pièces ont été réalisés par Camille Thibault-Bédard. Douloureusement sensuelle, cette incursion dans l’univers singulier de Marie Chouinard ne laissera pas indifférent.
La seconde pièce, Variations 9, 81, chorégraphiée par Victor Quijada, se passe juste au-dessus du sol. Juchés sur leurs cannes, le groupe lutte contre la force de la gravité. Comme le temps, on ne peut s’y soustraire, sauf si l’on est équilibriste! Passant le plus clair de la performance tête en bas, les artistes créent des figures surprenantes avec leurs jambes. Le segment a quelque chose de végétal et on se sent comme dans un marécage, à l’opposé du territoire aride évoqué dans la première pièce. Les cinq interprètes se plient comme des roseaux, répondant à la moindre note de musique. On assiste à la répétition d’une phrase chorégraphique somme toute simple et on atteint rapidement la limite des propositions avec les cannes, bien que les déplacements et changement de structures soient fluides et créent des tableaux intéressants.
Le dernier morceau du Triptyque est plus théâtral et onirique. Il présente des personnages et une trame narrative clairs campés dans ce qui semble être un institut psychiatrique, cet endroit où l’on invente le réel entre la TV, le lit et les couloirs d’hôpitaux. Tout de blanc vêtus, les interprètes jouent avec les outils à portée de la main; le lit se transforme en balancier bateau-pirate ou en mur d’où sortent des mains pour agripper les gens. L’eau sous toute ses formes est un élément central du tableau, où l’on évoque les rêves d’abordage, et où l’on a même une (trop) brève rencontre avec des poissons… Dans Nocturnes, de Marcos Morau, on entre bien dans le rêve de ces somnambules, bien qu’il y ait quelques longueurs. Le numéro de manipulation de boules de cristal rappelle le film Labyrinthe, alors que l’ambiance sonore suggère un univers naïf à la Édouard aux mains d’argent. Dans ce segment, la musique raconte l’histoire à la manière d’un film, soulignant les intentions. La scénographie recherchée et inventive, la superposition de solos et les différentes couches narratives tissent des mondes imaginaires dont le spectateur aimerait faire partie. Le chorégraphe gagne son pari de créer un espace artistique global.
Le très attendu Triptyque, la nouvelle création des 7 doigts de la main, proposes trois conjugaisons artistiques uniques mais complémentaires. Entre équilibre et mouvement s’expriment la virtuosité et la poésie des corps, dans des tableaux bien distincts. L’ovation debout à la fin des 2h30 de spectacle est méritée car les attentes sont comblées. Les amateurs de danse et de cirque pourront faire le plein d’inspiration, seulement jusqu’au 25 octobre.