Royal chez Duceppe: la machine à briser les âmes se porte bien
Par : Annie Dubé
Le 11 avril avait lieu la première médiatique de la pièce Royal, une adaptation du roman de Jean-Philippe Baril Guérard. Dubitative devant les traumavertissements affichés sur le site Web de Duceppe, je me suis dit qu’il y avait là une belle occasion de se traumadivertir. Et je ne m’étais pas trompée! C’était… trauma-inspirant.
Étonnamment, j’ai survécu. Loin de me taper sur la cuisse en croulant de rire comme le faisait une grande partie des membres du public exalté durant les premières minutes, c’est plutôt troublée de vérité que je suis ressortie du théâtre. Usant d’une sorte de métanarration par les personnages qui nous présentent leur univers d’ambitieux futurs avocats, on se sent initiés comme des spectateurs-témoins.
Comme c’est de plus en plus fréquent sur nos planches, on use de projections technologiques et de caméras sur scène, pour nous faire voyager à travers les perspectives troubles, ce qui nous rapproche de l’omniscience, tout en gardant une distance émotionnelle quasi-clinique, assurément malsaine et intrusive.
On est au cœur même du déterminisme sociologique qui mène les plus barbares au sommet de la pyramide, enrobés de beaux habits.
L’Enfer est pavé de briques d’or
Grâce à une prestation physique époustouflante des acteurs tenant le rôle de jeunes adultes ambitieux, pour la plupart issus de milieux privilégiés ou ayant quelque chose à prouver, on est de plus en plus aspirés avec eux dans le vacuum de l’aspirateur de la petitesse humaine, qui se croit plus grande que nature. Pas de pitié pour les faibles! Une véritable performance physique, plus proche du cours de spinning que du registre tragique, qui se décline en multiples tableaux, souvent peints dans la suggestion plutôt que dans la démonstration.
Le rythme et l’ambiance deviennent peu à peu oppressants, tant pour les personnages en quête de gloire et de domination que pour les spectateurs qui reçoivent en plein visage le reflet d’une société toxique dans laquelle ils sont, malgré eux, aussi des personnages… ou sinon des figurants silencieux.
Chorégraphiée comme une danse aux airs d’entraînement militaire d’arts martiaux, la pièce a évacué les rires pour les remplacer par le manque de mots, et nous laisse pantois. Une impression de lourdeur nous envahit peu à peu; vers le trois quarts de la pièce, on sent un léger ralentissement qui nous endort l’esprit dans une hypnose collective, la même qui aveugle tous ces personnages assoiffés de dorures.
Royal est une œuvre forte, impressionnante, voire assommante plus qu’énergisante. C’est un immense vampire dont les crocs sont des egos plongés dans la soif de gagner à tout prix. Un rouleau compresseur de haut niveau.
Un coeur de métal au pays d’Oz des puissants magiciens de la déception
La mise en scène par Virginie Brunelle et Jean-Simon Traversy est froide comme une gigantesque machine d’humains de fer, de cœur de métal fendus et d’éclats aveuglants. On ne va pas voir cette pièce, qui risque d’être très populaire, pour s’élever dans un élan poétique shakespearien, ni pour se nourrir de naïveté. On y va plutôt pour recevoir en pleine gueule la douche glaciale du réel, condensé dans un microscope grossissant.
Voilà l’élite la plus pathétique au monde. Et ça fait du bien d’au moins la vivre avec une dose de cynisme, dans ce temple de la Cité qu’est un théâtre. Ça fait mal au p’tit catéchisme de regarder ce miroir sociétal s’assumer dans sa laideur glam.
S’il y a une chose que je retiens des textes de l’auteur Jean-Philippe Baril Guérard, c’est bien sa faculté de mettre le doigt sur le bobo de tout ce que je déteste des êtres humains, qui se résume à ce désir de jouer au Roi de la montagne. Je vous le confirme : j’ai détesté cet univers avec catharsis. C’est une machine qui vous avalera l’esprit! Ne manquez pas ça, sauf si vous avez envie de légèreté : il n’y en a pas. Vous ne ressentirez aucune joie, promis.
Deux nouvelles supplémentaires sont annoncées les mardi 30 avril 19 h 30 et samedi 11 mai 20 h. Procurez-vous des billets sur le site Web de Duceppe.
Crédit de couverture : Danny Taillon
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