Ah la vache!
Crédit : Stéphane Bourgeois
Par : Jean-Claude Sabourin
Justin Laramée, dans sa pièce documentaire Run de lait, accomplit une espèce de tour de force. Il arrive à nous faire comprendre un univers complexe : l’industrie laitière et sa fameuse gestion de l’offre. Depuis de décennies, tous les néophytes croient que celle-ci participe à un équilibre; celui de protéger notre monde agricole via les producteurs laitiers en échange d’un prix à la caisse plus élevé. Cette entente sociale tacite entre les fermes laitières et les consommateurs visait le bien-être de ceux et celles qui nous nourrissent.
Le spectacle qui est présenté au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 26 novembre nous montre que ce n’est pas si simple. Tous et toutes ne bénéficient pas également des fruits de la gestion de l’offre. Bien que dans l’imaginaire collectif la famille du producteur laitier travaille fort en symbiose avec la campagne bucolique qui l’entoure afin de vivre avec dignité, on constate que là comme ailleurs, les impératifs de l’industrialisation représentent la seule voie de passage dans le monde moderne. Les autres doivent disparaître.
Avec l’aide d’Olivier Normand, M. Laramée a élaboré une mise en scène minimaliste, mais combien efficace, laissant toute la place au propos qui le mérite bien. En se présentant simplement comme lui-même, Justin Laramée utilise la voix des membres de sa famille nucléaire afin de témoigner de la réalité de cet univers laitier. Ce choix judicieux nous oblige à incarner la situation qu’il décrit dans notre propre réalité.
De plus, le sujet est complexe et aurait pu s’avérer particulièrement lourd, mais le brio et l’humour de M. Laramée allège la pièce considérablement. Grâce à un langage familier, des clins d’œil avertis sur l’actualité passée et en donnant sa voix à certains des interlocuteurs qu’il a rencontrés pour échafauder le récit, il permet au spectateur de passer au travers des deux heures de la pièce en réfléchissant tout en riant.
Les vaches grasses
En dénonçant l’industrialisation des fermes laitières, Run de lait fait souvent référence à l’occupation du territoire et aux changements climatiques. En effet, la concentration des activités laitières menace la première, mettant en péril l’existence même du Québec; tandis que les pratiques en matière d’abattage des vaches de réforme participent à l’émission de grandes quantités de GES; sans compter l’important déficit éthique du traitement animal ou encore les moments très difficiles que doivent traverser les petits producteurs avant de s’évaporer.
Par ailleurs, la pièce nous montre comment les organisations qui ont le plus profité de la gestion de l’offre, les transformateurs, sont en grande partie à l’origine de la disparition des petits joueurs via un stratagème transfrontalier visant la croissance de leurs revenus. Une astuce qui a perduré pendant de nombreuses années sous l’œil indifférent des différents paliers de gouvernements. On peut ainsi se questionner sur les accointances politiques entre les transformateurs et les partis au pouvoir pendant toutes ces années.
Comme exemple, prenons Agropur, la coopérative agricole qui a pris naissance au Québec et qui regroupe plus de 3000 membres. La pièce suggère que ceux-ci ont probablement bénéficié du stratagème ici-haut, au même titre que Saputo ou Parmalat (Lactalis). Dans la perspective où le membership d’Agropur est maintenant fermé, cela indique qu’une partie seulement des producteurs laitiers a bénéficié des profits que la coopérative a réalisé sur ses revenus d’environ 8,5 milliards$ annuellement. Les autres doivent manger leurs bas jusqu’à disparaître.
Enfin, Run de lait expose notre rôle dans cette histoire comme consommateurs de produits laitiers. En terminant sur un portrait nostalgique d’un moment de vie de la famille Laramée, la pièce nous incite à y méditer. Une finale à l’image du spectacle; sans prétention, naïve, mais tellement riche de messages.
Justin Laramée est accompagné sur scène par Benoît Côté. Les billets sont disponibles au Théâtre Jean-Duceppe.