Quand la moralité est une commodité…
© Stéphane Bourgeois
« Quills est avant tout une prise de position sur la censure », déclare Robert Lepage, qui incarne le marquis dépravé. La pièce extrapole sur les derniers jours de la vie du marquis de Sade, à Charenton, l’asile où l’abbé de Coulmier (Jean-Pierre Cloutier) imagine que l’homme lubrique peut être détourné de ses irrépressibles pulsions.
À travers le thème de la sexualité, le propos porte sur la liberté d’expression et les responsabilités qui l’accompagnent. Est-il possible d’écrire sur les interdits, de les penser, sans pourtant les commettre? Aujourd’hui encore, notre époque semble moins sincère qu’elle le déclare, pense Jean-Pierre Cloutier, co-metteur en scène.
Dans la cellule du marquis ou le bureau du directeur, la mise en scène imaginée par Lepage et Cloutier démultiplie les recoins pour se replier, la tête pleine d’arrière-pensées. En effet, les miroirs rendent possible l’évasion dans les profondeurs de l’âme. Pour évoquer la censure, mais aussi l’hypocrisie qui l’accompagne, la perception de la normalité et sa distinction avec la folie, les miroirs coulissants présentent l’asile comme un palais de glace certes inspirant, mais déboussolant.
Cette pièce inspirée du célèbre marquis issu de la France de Napoléon 1er, l’Américain Doug Wright l’a écrite en 1995 en guise de protestation contre des politiciens américains et leurs mesures conservatrices. Contre le sénateur Jesse Helms notamment, qui a quitté le Parti démocrate pour se joindre aux républicains.
À cette époque, des politiciens comme Helms dénonçaient les subventions aux arts en s’insurgeant que les artistes visuels abordaient la sexualité et qu’ils repoussaient la limite de la décence. Doug Wright a dénoncé ces hommes politiques dans Quills, puis il a obtenu le prix Kesselring pour la meilleure pièce et le Village Voice Obie Award l’année suivante.
En 2000, la pièce a inspiré un film éponyme à Philip Kaufman. « La pièce est définitivement plus hardcore que le film », prévient Lepage dans le programme de la soirée, car la scène illustre mieux la brutalité, la violence inhérente au propos de Sade, autant que celle de l’asile où la société voudrait qu’il se taise pour l’oublier.
Aussi traducteur de la pièce, Jean-Pierre Cloutier s’est référé à un dictionnaire français-anglais de 1793. L’ironie dans la voix du marquis passe par un langage où les mots éclosent comme des bourgeons. Le spectateur sourit à entendre les doubles sens et l’ironie.
À l’Usine C jusqu’au 9 avril. Avec, outre Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier, Érika Gagnon, Jean-Sébastien Ouellette, Mary-Lee Picknell et Pierre-Olivier Grondin.
Crédit photo de couverture : © Stéphane Bourgeois
Texte révisé par : Annie Simard