Un virage électro en terrain jazz

Par : Bruno Miguel Fernande
Bonobo, alias Simon Green, était de passage au MTELUS vendredi soir dernier dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, un contexte qui laissait espérer une performance à la hauteur de la réputation musicale de l’artiste : un mariage entre électro, jazz et musiques du monde, livrées par un artiste reconnu pour ses arrangements soignés et ses collaborations instrumentales osant toujours plus l’expérimentation. Chez Bonobo, le beat compte, mais ce n’est jamais juste une question de puissance : c’est aussi dans la façon de bâtir des mélodies riche où chaque couche compte autant que la basse.
Ce soir-là, c’est la facette DJ de Bonobo qui s’est présentée : seul derrière sa console, devant des visuels dignes de Windows Media Player des années 2000, il a livré un DJ set électro assumé, centré sur le beat, le pas de danse et l’intensité. Pas de musiciens sur scène, pas d’instruments vivants ni de moments de jeu spontané. Pour un spectacle inscrit dans le cadre du Jazz Fest, difficile de ne pas ressentir une certaine déception. Je m’attendais à une proposition plus ambitieuse, à l’image de l’artiste capable de marier groove électronique et richesse orchestrale. Reste que, malgré tout, ce DJ set précis et maîtrisé a offert une expérience rythmée et efficace pour les amateurs de musique électronique.
Entre disco et rave : Juju le Moko chauffe la salle en mode safe

Le spectacle commence avec Juju Le Moko, DJ montréalais, qui offre un DJ set aux couleurs EDM mêlant l’énergie disco des années 70 aux beats des raves modernes : des rythmes réguliers, un enchaînement sans trop de surprises, et ce « boom boom » calibré pour faire taper du pied sans trop déranger la conversation. La foule, d’ailleurs, est restée assez bavarde pendant la majorité de la performance, comme si elle attendait que quelque chose décolle vraiment. Quelques moments plus texturés, avec un peu plus d’instrumentation ont brièvement éveillé l’attention et fait danser ici et là, mais l’élan s’est vite essoufflé. Une première partie correcte, en somme, qui a eu le mérite de chauffer doucement la salle avant l’arrivée de Bonobo, qui s’est d’ailleurs introduit discrètement dès le dernier morceau de Juju, comme un passage de relais tout en continuité.
Bonobo solo : le beat avant tout

Il y avait beaucoup de gens heureux d’avoir une soirée dansante, rythmée, festive. Mais on voyait aussi d’autres visages, un peu plus perplexes, ceux qui s’attendaient à retrouver Bonobo dans toute sa richesse instrumentale. J’ai entendu plusieurs murmures dans la salle disant « Sors ton band! ». Ce contraste illustre bien le paradoxe de la soirée : un DJ set agréable et efficace, mais qui laissait certains spectateurs sur leur faim, surtout dans le cadre plus exigeant du Festival de jazz. L’entrée en scène de Bonobo, seul derrière sa console, allait confirmer cette dualité entre l’énergie entraînante d’un set électro et l’absence de cette dimension live et organique que beaucoup espéraient sûrement.
En soi, le DJ set était correct. Bonobo a enchaîné des transitions très EDM, très dansantes, avec une basse qui cogne et un rythme régulier et puissant, parfait pour ceux venus se dégourdir les jambes. Il a puisé dans ses classiques, Cirrus, Kong, Tides, Kerala, Otomo mais toujours dans des versions condensées, intégrées dans une trame beaucoup plus électro que d’habitude. La foule réagissait clairement dès qu’un de ces morceaux familiers émergeait, comme un cadeau bien emballé au sein d’un DJ set plus générique.
À quelques occasions, le set prenait une tournure plus atmosphérique laissant place à des moments plus lents où la finesse instrumentale pouvait se faire entendre, notamment avec l’introduction délicate du violon dans Kiara. Ces passages apportaient une belle respiration dans la soirée, contrastant agréablement avec le tempo soutenu du reste du concert. Cependant, ces instants étaient trop peu nombreux pour vraiment équilibrer l’ensemble. Quant aux drop, ils fonctionnaient pour galvaniser la foule, mais leur enchaînement restait assez prévisible, sans véritable surprise ni rupture de rythme, ce qui pouvait parfois rendre l’expérience un peu linéaire.
Une performance nuancée, entre promesses et limites
Au final, c’était quand même une belle soirée. Pas exactement ce à quoi je m’attendais, mais une performance généreuse d’un peu plus de deux heures, qui a su plaire à plusieurs. Cela dit, difficile de recommander Bonobo les yeux fermés sans savoir à l’avance dans quelle formule il se présentera. Parce qu’entre un DJ set et un concert à grand déploiement avec ses musiciens, l’expérience est complètement différente. Selon ce qu’on recherche, la richesse organique d’un spectacle live ou l’énergie immédiate d’un set électro, cette distinction peut faire toute la différence, sans que l’une soit nécessairement meilleure que l’autre.