Un bel ovni des arts vivants
Par : Annie Dubé
La pièce Les employés est une exploration audacieuse à travers un monde de science-fiction. Il s’agit d’une adaptation pour la scène du roman de l’autrice danoise Olga Ravn (disponible aux Éditions de La Peuplade) mise en scène par Cédric Delorme-Bouchard, et présentée à la salle La Chapelle scènes contemporaines jusqu’au 12 avril 2022.
C’est dans le futur lointain que se déroule ce voyage spatial étonnant, à bord d’un vaisseau où coexistent des humains, des ressemblants (une sorte d’humanoïdes) et des objets. Nous entendons une série de témoignages vocaux défiler, qui expose en rétrospective ce mystérieux environnement aux allures totalitaires.
Une exploration dystopique entre le théâtre et la danse
Cette œuvre atypique, à la scénographie minimaliste, nous suggère un univers sur fond de néant. D’entrée de jeu, quelques lasers suffisent pour incarner les voix qui narrent les réalités des témoins. Au fil du spectacle, ces voix nous apparaissent de plus en plus déconnectées du corps des 5 interprètent qui meublent progressivement la scène, mi-robots, mi-insectes. Leurs mouvements, parfois délicats, parfois créatures, s’animent dans une économie d’artifices, où l’imagination tient un grand rôle.
Le spectacle, d’une durée d’à peine plus d’une heure, nous embarque au cœur de sa navette dès le début. C’est une allégorie philosophique sur notre rapport au travail, à la productivité, aux ressources humaines, technologiques et matérielles. On explore la valeur intangible d’une vie humaine à travers un froid technologique.
Nous sommes d’abord déstabilisés par ces voix dissociées qui se racontent et se croisent, ne sachant plus toujours qui parle, est-ce un humain ou une machine ? Parfois glaçants, parfois touchants, leurs mots nous transpercent comme ils nous échappent. Il faut adapter notre attention en conséquence, dans cette atmosphère onirique, pour ne pas partir en orbite dans notre bulle.
Les entités distinctes finissent par se confondre dans la tête du spectateur, jouant sur l’ambiguïté de l’évolution. On se questionne : est-il possible que la vie artificielle incarne une humanité, tant belle que mauvaise ? Et les humains, naissent-ils le jour de leur naissance, ou plutôt, lorsqu’ils deviennent des employés du système ?
Entre le corps et l’objet
En cette ère de pénurie de main-d’œuvre et d’épuisements professionnels, cette pièce originale inspire une réflexion abstraite sur le sens de nos vies modernes. C’est une occasion de se questionner sur la suite de notre rapport au travail et au monde. Voilà une dystopie futuriste qui ressemble à tout sauf à une vie au bureau autour de la machine à café, et pourtant ! On peut y voir des parallèles effrayants.
Ce spectacle ne sera assurément pas la tasse de thé de tous. Il attisera cependant une flamme mystérieuse chez les cosmonautes qui désirent sortir des chemins battus de la scène. Peut-être que chacun de spectateurs a pu voir un spectacle différent de celui de ses voisins de siège ? La mise en scène sur fond obscure invite à l’introspection et au recul, pour trouver nos repères. On s’y projette assurément pour construire du sens, et on y trouve des échos enfouis en nous à travers cet univers fictif.
Le voyage, loin dans l’espace et hors du quotidien, nous plonge au plus profond de notre humanité… et de notre absence d’humanité.
Crédit photo de la couverture : Simon Gauthier
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