Arômes artificiels
©Matthew Fournier
Par : Marie-Claude Lessard
L’immersion dans l’univers Starshit, cette multinationale qui change le monde un latté à la fois, débute dès l’instant où les spectateurs franchissent les escaliers menant à la Salle Jean-Claude-Germain. Deux immenses banderoles à l’effigie de la compagnie placardent les murs, de même qu’une affiche annonçant la venue imminente du fondateur de Starshit, le grand Alexander McCarthy, à la succursale de la rue de La Gauchetière. Arrivé à ce fameux établissement le plus performant en Amérique, le public est envahi par une musique ultravitaminée, un ver d’oreille insupportable qui donne parfaitement le ton à la fascinante satire signée Julie Renault et Jonathan Caron.
La première demi-heure de la pièce Starshit consiste en une habile propagande vantant les mérites de ce pastiche des Starbucks, Tim Hortons, Walmart et McDonald’s de ce monde. Le processus d’embauche, les cartes d’amélioration, les avertissements, les règles strictes, la routine de travail et les engagements sociaux de la corporation sont présentés avec brio par quatre employés obnubilés : la patronne enceinte Céleste (Martine Pype-Rondeau), l’anglophone parfaite April (Julie Renault), Madonna, l’ancienne toxicomane qui n’a pas la langue dans sa poche (Karine Berthelot), et l’angoissé Siméon (Jonathan Caron). Un fil conducteur narratif s’intègre avec aise à la publicité présentée, soit les préparatifs de la visite de McCarthy. La mise en scène dynamique de Luc Bourgeois , qui entraîne naturellement l’audience dans diverses zones (les témoignages des employés, le comptoir, le bureau de Céleste), appuie brillamment l’écriture rythmée. Tout au long des 75 minutes que dure ce spectacle, par le biais de courtes répliques mordantes extrêmement captivantes, les personnages se livrent à des jeux de coulisses sordides pour prouver à Alexander McCarthy qu’il est l’employé PAR EXCELLENCE. Manipulations, complots, amourette interdite… rien n’est impossible pour parvenir au titre tant convoité.
©Matthew Fournier
La beauté du texte réside dans le fait que les auteurs ne font aucunement la morale aux spectateurs. Ils ne sermonnent pas leur public et n’encouragent pas le boycott complet des entreprises internationales. Ils proposent plutôt une pertinente sensibilisation au phénomène. En grossissant (à peine) le mode de vie prodigué dans – et par- ces établissements, les créateurs conscientisent les gens sur le véritable impact de ces emplois étudiants. Ces derniers ne changent pas le monde et ne le feront jamais. Contrairement à ce que croient les personnages, le fait qu’il n’y ait plus de café velouté pour un homme d’affaires ne gâchera pas sa réunion importante. Les employés n’ont pas le poids de la survie de la planète sur le dos. Cela peut paraître exagéré, mais quiconque ayant travaillé pour ces compagnies vous dira que ce n’est pas si loin de la réalité… Certes, il est louable qu’une entreprise désire être financièrement rentable, mais faire accroire qu’elle place tous les employés sur le même piédestal est tout simplement insultant et dégradant. Starshit démontre sans faille ce constat. À travers d’innocentes intrigues délicieusement rafraîchissantes entre collègues et des chicanes aux proportions démesurées, une chance que le personnage de Madonna incarne quelque peu la voix de la raison…
Toute la distribution excelle, particulièrement Julie Renault qui campe à merveille les personnalités troubles d’April. Tous les comédiens font preuve d’une concentration et d’une coordination impressionnantes, spécialement lors de l’introduction et d’une réjouissante interaction avec (et à l’intérieur) du public. Ils possèdent une chimie extraordinaire qui rend leurs protagonistes profondément attachants malgré leurs odieux travers et leur triste aveuglement envers leur gagne-pain.
©Matthew Fournier
Starshit est présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui à la Salle Jean-Claude-Germain jusqu’au 23 avril.
Texte révisé par : Annie Simard