Un texte puissant et empreint d’humanité

Après l’effervescent S’enjailler présentée l’an dernier, la dramaturge et interprète Stephie Mazunya est de retour au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui – dans la grande salle cette fois avec la pièce plus intime Chronologies. Chronologies, c’est un jeu de miroirs entre trois voix féminines, trois trajectoires marquées par l’exil, la transmission et le besoin impérieux de dire. L’écriture dans cette pièce devient un lieu de recomposition, où les silences hérités et les blessures du passé trouvent tune résonance nouvelle.
Stéphanie Jasmin propose ici une mise en scène simple mais sensorielle où la parole et l’image composent un récit en constante métamorphose.
La prémisse: Muco, une jeune femme née au Canada, retourne au Burundi pour enterrer sa mère. Ce voyage ravive des souvenirs enfouis et nourrit son désir d’écrire. Antoinette, une mère, se dévoile à travers des enregistrements. Chronologies amène le public à s’interroger sur le poids des non-dits. L’Autrice, elle, revient pour écrire dans cette patrie quittée à l’adolescence, cherchant à conjuguer ses identités québécoise et burundaise, à s’émanciper des attentes sociales.
Dans son mot d’autrice, Stephie Mazunya explique avoir ressenti de la peur de devoir replonger aussi profondément dans elle même mais aussi que la pièce soit vue comme un témoignage comme c’est souvent le cas en Occident avec les autrices afro-descendantes qui parle de leur pays natal. Surtout, en réouvrant cette plaie pour son peuple, elle ne voulait pas heurter ses proches.
Il faut savoir que la guerre civile reste un sujet tabou que les Burundais refusent souvent d’aborder. L’autre a d’ailleurs dit en entrevue: « Je viens d’une culture où les gens sont très pudiques. Les Burundais ne pleurent pas en public. Et une façon de dealer avec les traumas, c’est de ne pas en parler, de les enfouir. ». Cela dit les traumatismes sont réels et dans la pièce, trois personnages féminins sont là pour en témoigner. Chacune à sa façon.
Dans cette fiction, elle a bien sûr inséré un peu de vérité, l’un de ses cousins, Prosper, comptait parmi les victimes de ce massacre perpétré au séminaire de Buta, en 1997.

La scénographie minimaliste de Stéphanie Jasmin conçue comme un collage intégrant des images projetées qu’elle a tournées au Burundi et au Rwanda, permets des superpositions des temporalités et une résonance relativement intime des souvenirs. La fraction de seconde de décalage entre le jeu sur scène et celui projeté sur l’écran agace au début et finit par être oublié tellement le propos est puissant. La scène finale est particulièrement d’une grande intensité jouée en kirundi (avec surtitres). Les mots sont à la fois durs et tendres. Des mots enfouis depuis trop longtemps.
Malgré la nervosité des premiers jours (quelques mots mâchés et quelques hésitations) et le changement à pied levé de comédienne ( Isabelle Kabano a dû se retirer du projet et a été remplacée par Parfaite Moussouanga), Chronologies reste un spectacle bouleversant qui s’inscrit dans une lignée de nouvelles histoires que l’on retrouve enfin sur nos planches qui permettent au spectateur de nourrir leur curiosité envers l’autre.
Si Stephie Mazunya a trouvé des traces d’elle-même dans différents livres, notamment ceux de Chimamanda Ngozi Adichie, de James Joyce avec cette pièce, je crois que plusieurs trouveront un peu d’eux-mêmes. Elle démontre encore une fois pourquoi, elle est une voix dramaturgique déjà forte, nous ne pouvons que lui souhaiter un avenir prometteur.
Chronologies
Texte de Stephie Mazunya, mise en scène de Stéphanie Jasmin. Avec Stephie Mazunya et Parfaite Moussouanga.
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 3 mai