Un entretien velouté sur un sujet corsé
©Mathieu Parenteau Vallée/MatTv.ca
Présentement à l’affiche à la Salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Starshit suit la routine de travail de trois étudiants et leur patronne au café Starshit. Création des auteurs et comédiens Julie Renault et Jonathan Caron, cette comédie satirique, mise en scène par Luc Bourgeois, s’interroge sur l’engagement aveugle, voire religieux, de certains employés envers des compagnies qui exercent sur eux un pouvoir à la limite de l’exploitation.
Renvoyant irrémédiablement à Starbucks, le titre de la pièce n’est évidemment pas un choix anodin, mais ne dénonce pas uniquement l’entreprise spécialisée dans la vente de cafés sophistiqués. « En fait, le titre fait référence à toutes les multinationales comme Walmart, ce n’est pas seulement un clin d’œil à Starbucks. Starshit est un éveil à toute l’hypocrisie derrière les grandes entreprises, derrière les publicités qui disent que les employés changent le monde un café à la fois. », confesse Julie Renault. « La pièce parle de toutes les grosses corporations qui mettent l’employé au cœur du processus, mais, finalement, l’employé n’est qu’un pion dans cette jungle dirigée par un, deux ou trois grands actionnaires», renchérit Jonathan Caron, dont la courte et terrible expérience de barista chez Starbucks a déclenché le processus d’écriture de Starshit.
Instaurer une trame narrative humoristique à cet univers capitaliste n’a pas été de tout repos, comme l’explique Julie Renault: « Au départ, l’écriture était très naïve. Moi et Jonathan écrivions à partir de nos expériences. On écrivait des choses qui nous faisaient rire. Par contre, on a éventuellement poussé nos recherches plus loin en parlant avec le directeur artistique Sylvain Bélanger, Luc Bourgeois et Simon Boudreault, en lisant sur le sujet et en visionnant des documentaires sur des compagnies comme Samsung. » Pour donner vie à une écriture si frénétique, Luc Bourgeois a opté pour une division de l’espace scénique. « Comme l’écriture est très rythmée et verbale, Luc est allé dans une mise en scène où il y a des zones. La scène est très épurée et minimaliste. Il y a la zone Témoignages, la zone Comptoir du café et la zone Bureau de Céleste, la patronne. », explique Julie.
Jonathan Caron admet que l’appui du conseiller dramaturgique Simon Boudreault, dont la pièce As Is (Tel Quel) a envahit les planches du Théâtre Jean-Duceppe l’automne dernier, a été extrêmement formateur. « Quand on a commencé à écrire, on s’est rapidement rendu compte que notre univers correspondait au sien. Dans ses œuvres, Simon aborde beaucoup les interactions entre collègues de travail. Il privilégie les huis clos. Alors, on l’a approché tout naturellement. Simon nous questionnait beaucoup sur la structure dramatique puisqu’on fonctionnait par tableau (le processus d’embauche, un jour de travail, etc.). Afin de conserver l’intérêt du public, il nous a fait prendre conscience de l’importance de faire des choix . On a choisi d’aborder notre sujet sous forme d’histoire avec un début, un milieu et une fin. Cependant, on a gardé l’essence pitch de vente à laquelle nous tenions beaucoup. » « En fait, Simon ne nous a jamais imposé quoi que ce soit. Il nous posait des questions. Lorsque nous n’arrivions pas à répondre à l’une d’elles, nous discutions ensemble pour corriger le tir », précise Julie Renault, un sourire aux lèvres.
Évidemment, les auteurs savent pertinemment que Starshit ne révolutionnera pas les méthodes de procéder de ces compagnies. Ceci dit, si la pièce peut susciter des changements de mentalité chez les spectateurs, leur mission sera pleinement réussie. « C’est sûr qu’on ne fermera aucun Starbucks! Par contre, on peut éveiller et sensibiliser les gens. Selon moi, le public est capable d’en prendre. L’important, c’est d’arriver avec une proposition audacieuse et engagée. En même temps, je suis conscient du paradoxe que j’incarne. Je dénonce Starbucks mais j’y vais quand même! Il faut accorder à ces compagnies qu’elles ont bien compris la game. Elles sont situées à tous les coins de rue! Lorsque nous sommes pressés, le choix ne se pose même plus hélas… Par contre, lorsque je passe devant un établissement de ce type, je me demande de plus en plus si j’ai vraiment besoin d’aller à cet endroit pour avoir un café. J’essaie le plus possible d’encourager les entreprises locales », soutient Jonathan. « C’est sûr qu’on ne peut pas changer les choses. Par contre, j’aimerais que des employés travaillant pour ces compagnies-là assistent à une représentation de la pièce afin qu’ils prennent conscience de leur rôle et de leur valeur en tant qu’être humain. L’emploi doit demeurer un emploi, et non devenir un mode de vie », conclut Julie Renault.
Crédits photos : Mathieu Parenteau Vallée/MatTv.ca
Texte révisé par : Matthy Laroche