Critique de la pièce Malaise dans la civilisation
Par : Annie Dubé
Si vous cherchez où se trouve le Nouveau Monde du théâtre, vous ne cherchez possiblement pas au bon endroit! C’est sur les planches de La Chapelle scènes contemporaines que vous risquez de vraiment franchir les limites entre hier et demain, et la pièce Malaise dans la civilisation n’en est qu’un trop bel exemple.
Ce texte d’Étienne Lepage, mise en scène par ce dernier ainsi que par Alix Dufresne, est incarné par quatre comédiens avec un bon sens de l’aventure. Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault interprètent quatre flâneurs qui apparaissent timidement sur scène. Chacun plus singulier que l’autre, il se passe quelque chose d’étrange, c’est-à-dire, tout et rien.
Bien que certains critiques aient pu dire avant moi que cette œuvre allait contre tous les codes du théâtre sous une forme expérimentale, il me semble qu’elle travaille plutôt à créer de nouveaux codes, et revoir les possibles des arts vivants.
Avec son titre qui rappelle celui d’un certain Freud, et ses questions existentielles enrobées sous des airs qui frôlent la pitrerie, on rit de bon cœur et on a enfin l’impression d’être dépaysés, de faire partie de quelque chose de sacré, sans prétention.
Chacun des personnages et son altérité feront face à des choix, et la question qui se dépose en nous comme spectateur est la suivante : qu’est-ce qui détermine nos choix au-delà de nos envies, de nos tentations, de nos morales?
Que ce soit le grand vertige face au néant de la vie, ou alors des plaisirs simples comme la découverte de soi et de l’autre, ce spectacle brise les frontières entre le monde intérieur et celui que l’on a en commun.
Parfois hilarants, ridicules, brillants, le texte et ses chorégraphies dignes de cascadeurs nous plongent dans un inconfort où l’on se sent pourtant chez soi. Des interactions avec certains membres du public brisent un autre mur, font craindre à quelques-uns d’être le prochain ciblé, mais régalent la salle d’une participation généreuse et de bon cœur de part et d’autre. Une ouverture vers l’inconnu est nécessaire à maintenir une civilisation afin que toutes les règles du vivre-ensemble ne foutent pas le camp par la fenêtre.
Cette phrase d’un personnage à chemise hawaïenne nous laisse songeurs par sa poésie philosophique de l’ordinaire : puisque la vie est souffrance, nous ne faisons que fuir cette souffrance tout au long de la vie, et la personnalité de chacun qui nous distingue, notre identité, est la musique de cette fuite.
Voilà qui exprime bien la beauté que sous-tend cette bouffonnerie pleine de profondeurs.
Une pièce à voir pour les voyageurs de l’âme humaine et de la liberté de création renouvelée.
La pièce se termine ce dimanche 13 novembre à 15 :00. Faites vite pour des billets! Il n’y a rien à voir; il y a tout à vivre.
Produit par Étienne Lepage; Mise en scène : Alix Dufresne, Étienne Lepage; Texte : Étienne Lepage; Interprétation et cocréation : Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon, Alice Moreault; Scénographie et costumes : Odile Gamache; Lumières : Leticia Hamaoui; Musique : Robert Marcel Lepage; Direction technique, assistance à la conception d’éclairage et régie : Ariane Roy; Production déléguée : DLD – Daniel Léveillé Danse
Crédit de couverture : Gunther Gamper
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