Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent
© Carolanne Lamontagne/MatTV.ca
Par : Marie-Claude Lessard
Debout sur une grande table brune sur laquelle sont installés un tricycle et des montagnes de feuilles blanches, un mignon jeune garçon récite du Baudelaire en scandant « Enivrez-vous! » avec une naïveté désarmante. Les festivités, tantôt exutoires, tantôt tragiques de cette dixième édition de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent sont alors lancées d’une brillante façon.
Sous la direction artistique de Loui Mauffette, fils du regretté poète Guy Mauffette, le spectacle, présenté à la Cinquième Salle de la Place des Arts, fait l’éloge des mots. Ceux qui blessent, ceux qui enragent, ceux qui transcendent l’âme. Sans censure et sans limite, comédiens, chanteurs et danseurs se succèdent, se mêlent et se découvrent pour offrir une inoubliable stonerie poétique durant approximativement trois heures. 180 minutes qui s’envolent à un rythme fulgurant… Grâce à une judicieuse mise en scène éclatée qui ne laisse aucun répit aux spectateurs, poèmes, numéros de groupe, chansons et chorégraphies provenant de plusieurs styles variés (de Jim Morrison à Marguerite Duras, en passant par Gaston Miron!) s’enchaînent harmonieusement, ce qui s’avère légèrement surprenant lorsqu’on considère le fait que les thèmes du suicide et de l’orgie sont abordés au courant du même 10 minutes!
À la fois auditeurs et acteurs, les artistes agissent régulièrement comme figurants, ce qui ajoute à l’effet intimiste du spectacle. Dépeinte comme une fête collective et rassembleuse dans laquelle tout est permis, la poésie constitue l’élément déclencheur à une infinité de possibilités. Les artisans jouent, crient, rient, aiment, s’émerveillent et s’emportent innocemment comme des enfants. Lorsqu’un poème illustre la colère, ils s’affolent en courant partout pour exprimer leurs craintes. Lorsque deux convives dévoilent leur amour, ils se cachent derrière des chaises pour admirer la relation naissante (magnifique texte de Simon Lacroix, également passeur de poésie). Ces petits gestes scéniques simples mais remplis de sens bonifient la portée des paroles déclamées.
Bien évidemment, plusieurs moments marquants ponctuent le spectacle. Parmi ceux-ci, notons le mic drop légendaire d’Anne-Marie Cadieux à la fin d’un extrait engagé du recueil Montréal brûle-t-elle d’Hélène Monette, le défilé de mode bouleversant chorégraphié par Manon Oligny dénonçant l’hypersexualisation interprété avec abandon par Mylène McKay et le poème Dieu merci ce n’est pas moi d’Évelyne de la Chenelière livré avec brio par Nathalie Breuer, Julie Le Breton et Bénédicte Décary. Kathleen Fortin récite avec sensibilité une oeuvre tristement brûlante d’actualité, La cueillette de Natasha Kanapé Fontaine, sur le sort d’une femme autochtone. Esther Gaudette et Éric Robidoux proposent une danse contemporaine hallucinante de Dave St-Pierre sur The Scientist de Coldplay.
En hommage à Ève Cournoyer, décédée en 2012, la plupart des artistes chantent l’une de ses oeuvres, Aujourd’hui, une puissante ode à la vie. Dans la même lignée, la comédienne Patricia Nolin sert avec allégresse une délicieuse Soupe aux poireaux, jolie métaphore sur les hauts et les bas de l’existence signée Marguerite Duras. Il faut également souligner le magnifique travail des musiciens : Benoît Landry, Zacharie Le Blanc et Jérémi Roy. Parlant de musiciens, les chanteurs Bernard Adamus et Philippe Brach présentent des morceaux déchirants de leur répertoire respectif.
Afin de prolonger l’ambiance décontractée et conviviale qui a nourri tout le spectacle, la soirée se termine par un sympathique banquet où trônent sandwichs pas de croûte et punch à la vodka QUARTZ, principal commanditaire de l’événement. Puisque cette édition s’avère la dernière pour cause de contraintes budgétaires, un dernier sincère et profond merci s’impose à tous ces créateurs et interprètes qui ont osé abordé la richesse poétique de notre langue autrement – et magnifiquement-.
Crédit photo : ©Carolanne Lamontagne/MatTV.ca