Âmes violentées
Par : Marie-Claude Lessard
Le Théâtre de La Manufacture et La Licorne ont un faible pour le dramaturge irlandais Mark O’Rowe. Après Howie le Rookie en 2002 et Tête première en 2005, voici Terminus, une troublante succession de monologues dressant un portrait infiniment juste sur le poids écrasant de la solitude.
Traduite par Olivier Choinière, familier avec le répertoire de O’Rowe, l’oeuvre ne laisse aucun répit aux spectateurs. Ces derniers doivent demeurer attentifs et ouverts d’esprit face aux trois personnages écorchés se présentant devant eux. Tour à tour, les protagonistes s’accaparent de la scène pour raconter leur histoire. Les liens unissant les intrigues se devinent aisément à mesure que la pièce avance. Martine Francke interprète une ex-enseignante qui se donne la mission de sauver une ancienne étudiante enceinte qui l’a appelée en détresse au centre d’appels pour lequel elle fait du bénévolat. De son côté, Alice Pascual incarne une célibataire blasée qui, à la suite d’une soirée arrosée qui vire au cauchemar, tombe sous le charme d’une créature entièrement composée de larves. Mani Soleymanlou, quant à lui, campe également un homme sans attache extrêmement timide qui, pour perdre sa virginité, conclut un pacte avec le diable.
Plongé dans une noirceur quasi totale qui engendre autant l’oppression que la proximité, le public accepte d’emblée son rôle de confident silencieux. Alors que les trois premiers monologues introduisant les personnages se réfugient dans un genre réaliste, une touche fantastique s’intègre graduellement. Il ne faut évidemment pas prendre au pied de la lettre tous les revirements invraisemblables qui parsèment le destin des personnages. Ils incarnent des métaphores qui servent à mieux symboliser le vide et la futilité de l’existence. Les véritables significations de la créature et l’issue du marché entre l’homme et le diable ne sont jamais clairement explicitées. Tout spectateur construit une interprétation différente qui varie selon les bagages de vie et croyances de chaque individu. C’est principalement pour cette raison que Terminus marque autant l’imaginaire. La violence brute contenue dans certaines descriptions d’actes dégradants (âmes sensibles s’abstenir) déconcerte et fascine à la fois. Sans censure, elle met cruellement en évidence la solitude et le désespoir refoulés chez tous les êtres humains.
Efficacement servie par un montage vidéo montrant les personnages dans les lieux qu’ils décrivent, la mise en scène de Michel Monty s’avère dynamique. Elle laisse toute la place aux images percutantes émanant du texte. Les trois acteurs font preuve d’une fougue et d’un lâcher-prise extraordinaires. Devant s’appuyer uniquement au texte et à leur propre instinct, ils habitent magnifiquement l’espace et donnent un sens particulier à chacun de leurs gestes et intonations. Ceci dit, certaines phrases sont déballées à un rythme effréné qui empêchent les spectateurs de capter quelques éléments clés du récit.
La dérangeante et inoubliable pièce Terminus est présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 29 octobre.
Texte révisé par : Annie Simard